La création d’un mouvement formé par des diplômés et des professionnels catholiques a été une idée poursuivie avec détermination par Don Giovanni Battista Montini (futur Paul VI), Igino Righetti et Angela Gotelli, quand, au début des années trente, ils ont dirigé les branches de la Fédération des étudiants des universités catholiques. L’annonce de la nouvelle proposition de formation religieuse et de militantisme chrétien adressée aux anciens étudiants universitaires a été faite en 1932, lors du congrès de la FUCI (Etudiants catholiques en université) de Cagliari, et l’année suivante, après une longue gestation, le Mouvement des diplômés catholiques a formalisé sa fondation, en commençant ses activités dans les diocèses et au niveau national, non sans effort.

Les difficultés d’organisation des diplômés catholiques ont été accentuées par la démission de Montini de la FUCI en 1933, officiellement motivée par ses engagements croissants envers la Secrétairerie d’Etat du Vatican, mais en réalité fortement encouragée par les cercles de la Curie qui, soucieux de maintenir la ” paix du concordat ” obtenue avec la signature du Pacte du Latran en 1929, ne partageaient pas pleinement la ligne définie par Don Giovanni Battista Montini à la formation des intellectuels catholiques.

En effet, les années précédentes, dans le cadre de la réflexion plus générale sur la crise de la civilisation et la participation des catholiques à la vie sociale, les responsables de la FUCI avaient surtout insisté sur l’importance de la formation morale et spirituelle des membres individuels et non pas tant sur la mobilisation des masses en vue de la “reconquête chrétienne” de la société, que voulaient des représentants autorisés de la curie et de l’Action catholique du Vatican. La “culture de projet” de Montini, qui s’est inspiré de la pensée de Jacques Maritain et l’a adaptée au contexte italien pour la construction d’un “nouveau christianisme”, cherchait à donner aux laïcs catholiques un rôle autonome, reconnaissant leur capacité d’intervention – quoique dans les indications venant du magistère ecclésiastique – dans l’activité professionnelle et dans la sphère sociale au sens large.

L’organisation des diplômés catholiques était enracinée dans ce terrain culturel et l’insistance même sur cette ligne a contribué à soustraire Montini à la responsabilité directe du nouveau mouvement. Monseigneur Adriano Bernareggi, alors évêque coadjuteur de Bergame, fut nommé en 1934 Assistant ecclésiastique des diplômés catholiques même si, en réalité, Montini n’a pas interrompu la collaboration et l’échange de réflexions avec ces cercles intellectuels, continuant discrètement à tisser un réseau de contacts pour éduquer la “classe dirigeante catholique”. Le débat allait au-delà des choix des individus : même sur la base d’une interprétation religieuse de la crise moderne (selon laquelle les difficultés dans lesquelles se débattaient les sociétés, venaient de leur éloignement de Dieu), la conscience prévalait parmi les intellectuels catholiques que l’ère d’un “christianisme sacré” était révolue et que les laïcs devaient donner un témoignage capable d’être un ferment à l’intérieur de la “masse”.

L’opposition qui s’est formée au sein de la structure ecclésiastique s’est ajoutée à la vigilance constante exercée par le régime fasciste sur les dirigeants des diplômés catholiques, obstacles qui, au moins dans ses premières étapes, ont freiné le nouveau mouvement qui, de toute façon, pour rassurer les autorités politiques et religieuses, a été étroitement inclus dans le cadre organisationnel de l’Action catholique. En observant en détail les premiers pas, on voit des cercles du catholicisme qui considéraient excessive l’autonomie d’action et de pensée revendiquée par le nouveau groupe de laïcs. Ce ne sont pas seulement les secteurs de la Curie romaine qui se sont opposés au projet de Montini, Righetti et Gotelli. Une certaine adversité a été exprimée du côté des dirigeants nationaux de l’Action catholique (en particulier, Luigi Gedda et Armida Barelli, présidents des branches jeunesse) qui visait une centralisation organisationnelle pour une plus grande unité d’action des laïcs et le renforcement du rôle de l’Ac au sein de l’Italie fasciste : l’objectif de ces tendances était de contrôler plus étroitement l’activité des branches de l’association et, en parallèle, d’intégrer plus largement les institutions ecclésiastiques et la laïcité catholique dans la vie politique nationale. En même temps, le projet du Père Agostino Gemelli d’opposition catholique à l’État séculier et de formation des nouvelles classes dirigeantes, qui a eu sa réalisation la plus complète dans l’Université catholique, a trouvé dans l’initiative des diplômés une force concurrente et problématique qui s’adressait aux mêmes cercles sociaux et surtout a pu étoffer ces ferments catholiques à la recherche d’une confrontation qui n’était pas antagoniste, mais cependant compétitive, avec la “modernité”.

Sous-jacente à la perspective religieuse choisie par les diplômés catholiques, il y avait aussi un choix politique et culturel qui tentait de maintenir une certaine distinction par rapport au fascisme. Les voix publiques d’opposition au régime fasciste se sont éteintes en Italie surtout après la conquête de l’Ethiopie, la guerre d’Espagne et la proclamation de l’empire en 1936 et le régime a désormais obtenu le consentement majoritaire des Italiens et de l’Eglise; une référence à l’universalisme chrétien et à l’unité des catholiques est restée chez les diplômés catholiques (et dans une moindre mesure dans les FUCI), qui aurait dû exister au-delà des différences politiques. Aussi à travers la lecture et la diffusion des réflexions venant de l’étranger, en particulier de France et d’Allemagne, les diplômés catholiques ont envisagé la réalisation d’un “ordre chrétien” qui, dans son indétermination, a permis de ne pas suivre l’identification entre l’État fasciste et l’État catholique, imaginée et pratiquée par les secteurs d’Eglise faisant autorité. C’était des références et des réflexions des diplômés visant à atténuer les contrastes idéologiques et nationaux et qui se sont immédiatement traduits dans le travail de valorisation du rôle des professions dans la construction de la société.

Malgré l’insistance sur les thèmes de la moralité et de la spiritualité des professions (ou, peut-être, précisément par la persistance de ces accents), Montini a posé une question clé qui a dépassé le problème, bien que significatif, des possibilités d’action des catholiques dans un système totalitaire. Bien que dans le mouvement des diplômés il y avait des tendances qui soutenaient la nécessité d’une plus grande influence des intellectuels catholiques dans la culture nationale et avaient l’intention de transformer le fascisme de l’intérieur, Montini avec Righetti et Gotelli a soutenu de manière convaincante les efforts pour une réflexion culturelle autonome, pour éviter la spécialisation sectorielle et pour ouvrir les catholiques à une vaste réflexion.

La complexité de l’organisation de la société moderne plutôt qu’un obstacle a été considérée comme un défi posé au christianisme, qui exigeait des formes et, surtout, des contenus adaptés à l’ampleur et à l’orientation des transformations qui émergeaient en Italie dans le processus de modernisation. Le choix d’agir dans des milieux de vie – comme le proposent les mouvements intellectuels de l’Action catholique – exigeait le renforcement d’une expérience religieuse à la fois personnelle et communautaire, capable de générer des formes de christianisme viables parce qu’incarnées dans les lieux concrets de l’expérience quotidienne. Craignant qu’il reste des réflexions irréalistes et limitées aux milieux d’élite dans lesquels elles avaient mûri, Montini a soutenu le choix des diplômés catholiques d’impliquer d’autres forces, à travers les sessions d’études nationales et les Semaines sociales, et a rendu possible, à partir de 1936, l’organisation au monastère de Camaldoli des Semaines annuelles de la culture religieuse du mouvement.

Les conséquences produites par la vision que Montini partageait avec le petit groupe d’intellectuels catholiques étaient à la fois ecclésiologiques (en particulier la redéfinition de la relation entre clergé et laïcs), spirituelles (la valorisation de la conscience personnelle de chaque fidèle) et politiques (les associations catholiques et l’Église en général devaient être moins les organisateurs de la présence des catholiques dans l’arène publique que les formateurs des fidèles en vue de leur participation responsable dans la vie sociale). Il s’agissait de questions qui n’étaient pas nouvelles pour le catholicisme, même en Italie, mais qui sont apparues encore plus urgentes à la fin des années trente, avec l’aggravation des tensions internationales, la décomposition des fondements du pouvoir fasciste et, ensuite, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. L’approfondissement culturel et la discipline spirituelle exigeante proposés aux intellectuels et aux professionnels, s’ils évitaient la contestation ouverte avec le fascisme, proposaient cependant une idée alternative de la société, idée qui a été nourrie pendant la “période Montini” par une partie significative de la future classe dirigeante catholique.

Le “projet” de Montini, à la fois réaliste et ambitieux, en fait n’a pas toujours été mené de manière cohérente, à tel point que certaines réalisations semblent controversées et que certaines d’entre elles qui ont été repensées et adaptées. L’opposition exercée par les secteurs influents du catholicisme italien, à commencer par ceux présents dans l’Action catholique elle-même et dans l’Université catholique, les circonstances politiques difficiles dans lesquelles le groupe autour de Montini a agi et le désir de ne pas s’écarter clairement de la stratégie hésitante du Vatican envers le gouvernement fasciste ont rendu l’expérience des diplômés parfois incohérente avec l’objectif imaginé, c’est-à-dire former la conscience des croyants pour faire grandir un laïcat chrétien mature en Italie.

La culture en tant que service demeure l’héritage le plus durable dans le catholicisme de cette intense saison d’engagement. Montini, souvent isolé, mais jamais seul dans cette œuvre de renouveau de l’Église, a tenté de répondre à la crise du christianisme dans des années particulièrement tourmentées pour la société italienne. Les différents résultats des choix faits après la guerre par de nombreux membres de la classe dirigeante catholique, qui avaient eu un point de référence sûr chez Montini, montrent comment sa “leçon intellectuelle” a répandu, bien au-delà des limites du catholicisme, des pensées et des actions capables d’accompagner les changements qui, dans la deuxième période de l’après-guerre, ont irrémédiablement modifié le profil de la société italienne.

Traduit du texte Italien d’origine par Philippe Ledouble.