Le 8 Février 2018  un journal de Zurich, Neue Zürcher Zeitung, intitulait «  Plus d’Etat – moins de Liberté » un article qui traitait de façon critique le contrat de coalition discuté la veille entre la CDU-CSU et le SPD. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est ni  le contrat en question, ni sa critique. Je souhaite surtout attirer votre attention sur la relation que ce titre laisse supposer entre les notions d’Etat et de Liberté. Si la base de ce titre est un modèle propre au  jargon de la communication, alors sa réciproque « Moins d’Etat – plus de Liberté » est valable aussi, tout comme la formule comparable « Plus d’Etat, moins de Liberté » ainsi que sa réciproque. Le fait que ces formules expriment le Credo politique de nombreux concitoyens, ne nécessite pas d’explication plus approfondie. Je voudrais dans le propos  qui suit me concentrer sur la question suivante, à savoir, qu’entend-on par Liberté d’une part et Etat d’autre part, dans ces formules qui se complètent mutuellement.

La philosophie politique propre à l’Europe, a permis au cours d’un long processus de discussions, de développer un ensemble de concepts propres à clarifier la relation entre pouvoir de l’Etat et liberté individuelle. C’est ce processus de clarification que je veux rappeler en évoquant quelques unes de ses étapes. Ce dont des philosophes ont eu l’idée est devenu, à la suite de longues luttes de classes et à la suite des révolutions de 1776 et 1789,  pratique politique et  droit et conduit – du moins dans certaines régions de notre planète –  à une forme d’Etat dans lequel la liberté de l’individu et le pouvoir de l’Etat peuvent coexister. Il est difficile d’avoir une vue d’ensemble du nombre d’étapes historiques qui jalonnent ce processus de clarification. Le choix que j’ai fait inclut, d’une part des positions que l’on peut considérer comme « canoniques» et reflète d’autre part les préférences philosophiques de celui qui vous parle.

1ére Etape : Aristote ou « Liberté » dans la cité grecque

De nombreux éléments que nous lions de nos jours à la Liberté ont été établis dans la Philosophie d’Aristote qui  est considéré à juste titre également comme l’Inventeur de la philosophie politique. On peut distinguer dans ses écrits Politique  et L’ Ethique Nicomaque  une série d’aspects qui peuvent être rangés dans le domaine des problèmes de la Liberté, bien qu’Aristote lui-même n’utilise pas encore  de concept unique à ce sujet. Je veux me limiter ici à 3 aspects.

Premier point : Aristote connaît  un concept qui concerne la liberté d’agir. Considéré de façon négative, il envisage l’agir d’une personne de décider par elle-même, c’est-à-dire sans aucune contrainte extérieure ; considéré de façon positive il envisage la décision réfléchie d’une personne, prise à la suite d’un examen attentif des aspects les plus importants de la question. Pour ceci, Aristote a trouvé une expression qui lui est propre, à savoir, « la décision prise après réflexion » (en grec prohairesis).

Un deuxième aspect de la liberté concerne le fait que les hommes s’efforcent d’avoir en suffisance ce qui est nécessaire à la simple survie et à une vie correcte. Aristote utilise alors le concept de autarkeia, qui de nos jours encore, est un mot étranger courant, le concept de l’autarcie, le fait de se suffire à soi-même.

Enfin un troisième aspect : pour la liberté au sens juridique et politique, Aristote utilise le concept de eleutheria. Dans ce sens, est libre celui qui, à la différence de l’esclave, ne doit pas l’orientation naturelle de sa vie à un maître et pour cette raison existe donc par lui même et par sa bonne volonté (cf. Höffe, 2014, p.146). A partir de cette eleutheria  Aristote ne définit pas seulement l’esclave par opposition au maître, mais également le citoyen, le polîtes. Ce qui caractérise le Polis des autres habitants, c’est le fait qu’il « participe au pouvoir judiciaire et au gouvernement » (Pol. 1275a).

Bilan intermédiaire N° 1 : La première pensée politique consciente d’elle-même, à ses débuts historiques en Grèce, ne connaît la liberté politique que par rapport au citoyen jouissant de tous les droits civils et politiques, dans une cité d’une taille limitée et qui peut donc participer au pouvoir législatif et au pouvoir judiciaire. Cette participation a cependant comme condition économique préalable l’exclusion de ce droit de participation pour l’ensemble de la majorité de la population au service de la cité, y compris les femmes. Depuis longtemps philosophes, historiens et philologues des langues anciennes débattent de la question des points communs de ce concept de liberté dans l’Antiquité avec les conceptions récentes de la liberté politique. Et dans ce contexte se pose la vieille question de savoir si la forme de démocratie pratiquée surtout à Athènes à l’époque de Périclès propose des critères pour des tentatives plus tardives d’exercice de pouvoir avec la participation de l’ensemble des citoyens. Abstraction faite de ceci, il semble cependant que la thèse de base de la politique d’Aristote garde sa valeur au-delà de son époque : Elle procède du fait que la vocation anthropologique fondamentale de l’être humain est celle d’un être politique, zoon politikon, et signifie que, pour l’être humain, une « bonne vie » n’est possible que dans un ordre politique régi par la loi.

2ème étape : « Roland » ou  « L’air de la ville rend libre ».

A proximité de l’Hôtel de Ville de plusieurs de nos villes dont le cœur médiéval n’a pas été complètement victime de la Seconde Guerre Mondiale ou de la folie de construction qui a suivi, on peut parfois trouver la statue de pierre massive d’un homme en armure de guerre et tenant dans sa main droite une épée nue. Il s’agit d’un « Roland ». Il doit son nom à un comte de la suite de Charlemagne. Le biographe de ce dernier, Einhard, rend compte dans sa vita de l’Empereur, du sort de ce comte qui conduisait l’arrière-garde de l’armée franque et qui fut tué dans les Pyrénées au cours de sa retraite, par l’ennemi qui le poursuivait, non sans avoir une fois encore avant sa mort soufflé dans son cor pour appeler à l’aide. Ce dernier fait est toutefois déjà un ajout à la Chanson de Roland, très célèbre au Moyen Age. Le personnage de Roland était le symbole de l’autonomie d’une ville qui avait un droit de marchés et sa  juridiction propre, et il était par là le symbole de la  liberté propre à une ville. Cette liberté particulière d’une ville prend encore plus d’importance dans un titre juridique qui lui est propre et qui est exprimé d’ordinaire par la formule « l’air de la ville rend libre ». Cette formule elle-même ne date pas du Moyen-Age, mais son contenu tel qu’il se trouve défini dans le privilège de ville-libre, accordé par Frédéric II en 1218 à la ville de Berne : Omnis homo qui venerit in hunc locum et remanere voluerit, libere sedebit et remanebit. On peut traduire ainsi : «  Toute personne qui arrive en ce lieu et veut y demeurer, doit s’y installer et séjourner en étant libre » (Strahm 1955, p. 103).

Les faits dont il s’agit ici sont – comme bien souvent en histoire – bien plus compliqués que ne le laisse supposer la formule si évocatrice de l’air de la ville qui rendrait libre. Le mot « air » représente «  la concrétisation dans la langue parlée du concept d’espace, espace habité, lieu d’une installation durable » (Strahm, 1955, p.105). « L’air » ou lieu d’une installation permanente détermine – et ceci vaut encore de nos jours – le statut juridique de celui qui s’est installé dans ce lieu. Le texte latin d’origine nomme servus le bénéficiaire au sens propre de ce privilège de la ville. Un servus – la traduction habituelle par « serf » est  trop péjorative – est au sens médiéval du terme une personne qui, en raison de la catégorie sociale de sa naissance, a le devoir d’être au service (lat. serviitium) d’un maître. Ce devoir de service pouvait prendre des formes et une dimension variables. Il signifiait toutefois un devoir contraignant et obligatoire. Dans la société médiévale très hiérarchisée un servus pouvait appartenir à des catégories très différentes de cette hiérarchie. Les valets et les servantes qui mangeaient à la table de leur maître car ils n’avaient pas leur propre foyer, appartenaient à la catégorie sociale la plus basse. Les servi nobiles, chargés de hautes fonctions, occupaient le degré supérieur. En tant que attachés aux services d’un fief, ils pouvaient avoir un style de vie qui ne les distinguait guère des membres de la Noblesse libre. Les servi qui allaient s’installer dans les villes pouvaient donc être issus de toutes les catégories sociales, et après un séjour incontesté de un an et un jour ils pouvaient être libérés du service de leur ancien maître.

Mais cette libération avait son prix. La ville exigeait des nouveaux venus, qu’ils aient ou non l’autorisation de leur maître, comme de tout citoyen, des services correspondant à ses besoins propres : Comme citoyen de la ville, le nouveau venu entrait au service du maître de la ville. Il échangeait donc le servitium dont il s’était libéré en venant s’établir dans la ville, contre le nouveau servitium de cette ville dont il devait porter désormais « l’amour et la peine » – ainsi que l’exprimait l’ancienne formule. Pour la protection que la ville lui garantissait envers son ancien maître, le nouveau venu devait « fidélité et allégeance » (fidelitas et homagium) ainsi que service, par exemple en participant à la défense de la ville et en payant des taxes. Les libertés qu’il gagnait en contrepartie étaient très variables selon les lieux. L’une des plus importantes consistait dans le fait qu’il pouvait à tout moment renoncer à cette protection que lui garantissait la ville et aller s’établir ailleurs, tout en restant libéré du service envers son ancien maître. En plus des libertés individuelles, le nouveau venu jouit aussi des droits qui s’ajoutaient par privilège royal à l’ensemble des citoyens tels que le droit de marquer des limites, droit de battre monnaie, droit de douane, la liberté de juger selon le droit propre (immunitas) ou le droit de proposer, par décision du Conseil, de nouvelles lois pour le bien de tous et pour l’honneur de la ville et l’honneur de l’Empire (pro communi utilitate et honore civitaatis et honore imperii). Le dernier point montre que ces droits concernaient les villes liées directement à l’Empire, c’est-à-dire les villes « fondées sur le territoire de l’Empire » (fundus imperii) et qui dépendaient directement du roi ou de l’empereur.

Bilan intermédiaire N°2 : Les sources traditionnelles de l’histoire des villes au Moyen-Age présentent, aux yeux de l’observateur moderne, s’agissant de la liberté individuelle, une image qui ne lui est pas totalement inconnue, un jeu qui consiste à donner et reprendre, un jeu entre autoritarisme et laisser faire. Celui qui se place sous la protection de la ville et qui s’acquitte des tâches liées à cette protection obtient une liberté très large, nourrie d’autres privilèges encore, sans aucun égard pour les obligations dues à son rang. C’est sur cet arrière plan sans doute qu’il faut comprendre cette phrase d’un historien de l’Antiquité qui faisait autorité à son époque : «  L’homme du Moyen-Age était dans bien des domaines plus libre que l’homme moderne, même s’il était un serf par sa naissance. Car il ne se trouvait pas face à un Etat tout-puissant qui édicte des lois pour presque tous les domaines de la vie » (Hölzle, p.160).

3ème étape : Sebastian Castellio, ou : La liberté de conscience

Le 27 octobre 1553 sur un bûcher on fait brûler Miguel Servet, médecin et humaniste d’origine espagnole. Cet événement a pour cadre la ville protestante de Genève et son instigateur n’est autre que le théologien en chef de  la ville, Jean Calvin. Servet était un médecin renommé qui avait pratiqué son art à Vienne à la cour de l’évêque de la ville, mais sous un faux nom. A une époque où  les questions de confession religieuse avaient une signification vitale, il s’était préoccupé dans sa jeunesse de problèmes théologiques et il en était arrivé, pour son compte, à la conviction incroyable pour l’époque, que la théorie de la Trinité, proclamée à l’issue du premier concile œcuménique de Nicée (325) considérée comme sacrée non seulement pour l’Eglise romaine mais aussi pour les adeptes de la Réforme, était une erreur. Le traité dans lequel il avait exposé et justifié sa conviction se trouva rejeté par tous les théologiens de l’époque, de l’Eglise romaine ou protestants. C’est précisément du côté de Calvin que Servet comptait trouver un soutien théologique pour ses thèses subversives. Erreur fatale ! Mais une deuxième erreur de Servet semble encore presque plus incompréhensible. Dans sa fuite de Vienne, il fait étape justement à Genève. Il y est reconnu et arrêté sur l’injonction de Calvin, puis condamné et exécuté d’une façon particulièrement cruelle, même pour le contexte de l’époque. Dans un rapport de l’exécution fait par un contemporain sous le titre Historia de morte Serveti, on trouve cette phrase terrible : « Certains affirment que, au moment où il voyait Servet conduit au bûcher, Calvin aurait souri tout en dissimulant le regard derrière les plis de son vêtement » (Castellio 2013, p. 47). La Historia poursuit ainsi : « Cet événement a horrifié de nombreuses personnes pieuses et a provoqué le scandale des scandales (scandalum scandalorum) qui restera dans toutes les mémoires » (Castellio 2013 ibid.).

C’est avant tout un contemporain de Calvin qui avait été neuf ans auparavant son collaborateur à Genève qui lui fait de graves reproches. Il s’agit de l’humaniste et théologien de la Réforme Sebastian Castellio. Au mois de mars 1554, donc quelques mois après les événements de Genève, Castellio publia, sous le pseudonyme de Martinus Bellius, un petit ouvrage sous le titre De haereticis an sint persequendi. Dans cet ouvrage il déclare de façon nette que la persécution et le meurtre de ceux qui pensent différemment comme étant non chrétiens voire même antichrétiens ne peuvent être justifiés par des arguments chrétiens (Castellio 2013, p.60). La  publication de De haereticis a déclenché une violente  polémique par écrit entre les partisans de Calvin à Genève et ses adversaires de Bâle. Au sujet de Servet et du problème de fond que représente l’exécution des hérétiques, d’autres points litigieux apparaissent dans la doctrine de Calvin qui voit finalement son autorité en tant que théologien menacée et qui tente d’écraser ses adversaires par tous les moyens de publications qui sont à sa disposition. Ces discussions à coup de publications ont un mordant que l’on trouve seulement là où des personnes se sentent obligées d’affirmer contre toute forme de déviance des convictions acquises au terme d’un long combat. Au début de l’année suivante, en 1555, Calvin se défend contre ceux qui le critiquent  par une Defensio orthodoxae fidei (pour être complet : de sancta trinitate contra prodigiosos errores Michaelis Serveti Hispani),  qui tente de justifier la sévérité dans le traitement de Servet.

A cette Defensio du théologien de Genève, Castellio répond par un écrit de controverse qui vise Calvin de façon toute personnelle et qui a pour titre : Contra libellum Calvini (in quo ostendere conatur haereticos jure gladii coercendos esse). Une nouvelle fois, l’auteur n’ose pas donner son nom, ce qui ne le protège pas contre ses adversaires qui le lui attribuent après coup. En tous cas leur influence est telle qu’ils empêchent sa publication. Cet écrit ne sera imprimé qu’en 1612 – dans la République des Pays Bas-. Ce Contra libellum Calvini a la forme d’un dialogue entre Calvin et Castellio. A partir de l’écrit très détaillé de Calvin, Castellio a fait un choix d’extraits plus ou moins longs qu’il cite tout d’abord et commente ensuite. La critique de Castellio comporte plusieurs points forts. Elle est cependant dirigée avant tout sur la question centrale, indépendante de la personne de Calvin, à savoir, si une autorité (chrétienne) a le droit de condamner des hérétiques. La réponse de Castellio est donnée dans un court passage introduit par une phrase qui a rendu ce texte si célèbre : Hominem occidere, non est doctrinam tueri, sed est hominem occidere. « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, mais tuer un être humain ». Cette phrase mérite d’être inscrite dans la « bible », le livre de base imaginaire, de tous les zélés, les fanatiques et  fondamentalistes religieux de toute tendance et de tout temps. Et Castellio poursuit: « Lorsque les Genevois ont tué Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, mais ils tuaient un homme. Défendre une doctrine, ce n’est pas l’affaire de l’autorité (l’épée n’a rien à voir avec la doctrine) mais c’est l’affaire de celui qui l’enseigne. Protéger celui qui enseigne, voilà le devoir de l’autorité, tout comme elle doit protéger le paysan, l’artisan, le médecin et autres contre l’injustice. Ainsi, si Servet avait voulu tuer Calvin, alors l’autorité aurait à juste titre, défendu Calvin. Mais comme Servet luttait à l’aide d’arguments et d’écrits, on aurait dû le combattre à l’aide d’arguments et d’écrits ». (Contre Calvin 2015, p.131)

Bilan provisoire N° 3 : La voix de l’individu qui réclame la liberté de croyance sans tenir compte des risques que ceci comporte pour son corps et sa vie même, cette voix s’élève contre un régime autoritaire et répressif qui rend une religion donnée obligatoire et qui persécute sans pitié le fait de penser différemment, c’est-à-dire qui persécute celui dont les convictions ne sont pas en accord avec les siennes et qui le traite d’hérétique et d’apostat. Stefan Zweig dans l’œuvre romancée consacrée à ce conflit parle de « insurrection de la conscience ». Sebastian Castellio n’est pas le seul à formuler la revendication de liberté de conscience et de religion et à l’étayer par des arguments bibliques et théologiques. L’autorité à laquelle il s’adresse a cependant longtemps ignoré sa revendication reprise par d’autres aussi. Des persécutions pour des convictions religieuses mal vues par l’Etat étaient courantes jusqu’au 18ème siècle, même si ceux qui s’écartaient du droit chemin ne se faisaient plus brûler comme à Genève en l’an 1553. C’est peu à peu seulement et en passant par les étapes des Guerres de Religion du 17ème siècle, par le Siècle des Lumières et finalement aussi par les grandes Révolutions du 18ème siècle que l’on en est arrivé, du moins en Europe, à une séparation des autorités civiles et religieuses et par là même à une garantie de la liberté religieuse considérée comme une « démarche du cœur » (Hobbes) qui relève exclusivement du domaine de la vie privée.

4ème Etape : Thomas Hobbes  ou : Qu’est-ce qui légitime l’Etat ?

C’est dans le contexte de la guerre civile et religieuse qu’il a vécue lui-même comme une menace de mort, que Hobbes a développé une conception de l’Etat qui, d’un certain point de vue, signifie une limitation de toutes les demandes de liberté de l’individu et qui, en même temps, d’un autre point de vue, institue la liberté individuelle en tant que telle. Ceci paraît paradoxal et nécessite une explication : Deux formules célèbres caractérisent l’individu et le rapport d’un grand nombre d’individus entre eux, dans une société qui n’est pas encore organisée en Etat, donc dans un « état de nature » qui  semble n’être qu’une construction purement mathématique mais qui, dans la guerre civile et religieuse de l’Angleterre du 17ème siècle a trouvé en quelque sorte sa concrétisation. La première formule de Hobbes est le tristement célèbre Homo homini lupus, « l’homme est un loup pour l’homme », la deuxième, non moins tristement célèbre, bellum omnium contra omnes, « la guerre de tous contre tous ». Elles sont indissociables et signifient : pour raison de survie, tout individu peut se voir dans l’obligation de considérer tout autre individu comme un rival, comme un adversaire, comme un ennemi potentiel et le traiter comme tel s’il s’en prend à son bien ou dans un cas extrême à sa vie. De ce fondement anthropologique résulte une société dans laquelle ne règne pas forcément une constante guerre ouverte, mais dans laquelle chacun doit se tenir constamment sur ses gardes car les conflits latents permanents peuvent à tout moment se transformer en guerre ouverte. Et ceci conduit à une vie pitoyable –  Hobbes ne se lasse pas de le répéter. La raison intéressée au maintien en vie exige de l’homme qu’il cherche une issue pour échapper à cette vie pitoyable. Cette issue que trouve la raison, c’est précisément l’Etat. Pour ce faire il doit cependant s’être constitué d’une certaine manière. Dans le célèbre frontispice de son œuvre principale au sujet de la philosophie de l’Etat,  le « Léviathan » de l’année 1651 – vous avez tous déjà vu cette image dans vos manuels scolaires d’autrefois –, Hobbes représente cette formation de l’Etat par une image très suggestive : dans la partie supérieure de cet emblème qui est divisé en 2 parties, on voit,  jaillissant des flots de la mer, la silhouette d’un géant qui s’élève au-dessus du paysage bien ordonné et paisible d’une ville fortifiée et de nombreux villages. Cette silhouette porte une couronne sur la tête et elle tient dans sa main droite l’épée, symbole du pouvoir temporel et dans sa main gauche la crosse, symbole du pouvoir spirituel. Mais à y regarder de plus près, on se rend compte que le buste de cette silhouette artificielle d’homme, à l’exemple du peintre italien maniériste Giuseppe Arcimboldo, est constitué par une foule de minuscules bonshommes. C’est la représentation en image du contrat sur lequel se fonde, selon Hobbes, la création de l’Etat. Chaque individu transmet à un tiers la propension à la violence qui lui est naturelle, à la condition que chacun des autres soit prêt au même renoncement. De cette manière cette tierce personne se voit attribuer la totalité des potentiels de violence de chacun. Son pouvoir se trouve par là presque illimité, c’est pour cette raison que Hobbes le désigne par le nom emprunté à l’Ancien Testament de Leviathan  c’est-à-dire le « Dieu mortel ». Le pouvoir de l’Etat est sans doute absolu, mais il ne doit avoir qu’un seul but qui est sa justification, à savoir la protection et la sécurité des individus qui se sont rangés sous son toit. Inversement, ceci signifie aussi : Si l’Etat n’est plus en mesure d’assurer cette sécurité, il perd sa justification et les citoyens ne sont pas seulement dans la nécessité de reprendre en mains  le maintien de leur sécurité, mais ils sont en droit de le faire.

Bilan provisoire N° 4 : La sécurité des biens et de la vie est une des conditions fondamentales de la prise en compte de toutes les libertés. C’est au philosophe anglais Thomas Hobbes que nous devons cette révélation. Il reconnaît la toute puissance à l’Etat qui s’est constitué indépendamment des formes de gouvernement connues jusqu’alors, pour être en mesure de mettre un terme à toute forme de justice individuelle dans l’intérêt de l’ensemble des citoyens.

5ème étape : Emmanuel Kant ou : Les Deux Libertés

La Liberté est le thème central du philosophe des Lumières de Königsberg qu’il s’agisse de philosophie théorique ou pratique. Dans le cadre de cette conférence il n’est toutefois possible de ne donner que quelques indications à ce sujet. C’est à Kant que remonte en fin de compte la question, encore très discutée de nos jours, de la distinction entre liberté négative et liberté positive. Cette distinction suppose en réalité comme condition préalable deux problèmes de liberté différents. Le premier est lié à la liberté en tant que principe de droit, le deuxième concerne la liberté en tant qu’idée. La liberté en tant que principe de droit correspond à la liberté politique. La liberté comme idée en revanche a une signification plus étendue et elle joue surtout un rôle dans la philosophie morale. Kant définit la liberté en tant que principe de droit dans un de ses derniers écrits, La Métaphysique des mœurs (1797) de la façon suivante : «  Le droit est donc l’ensemble des conditions sous lesquelles le libre arbitre de chacun peut coexister avec le libre arbitre de l’autre selon une loi universelle de la liberté » (Kant, M. des mœurs). La liberté dans ce sens signifie l’indépendance vis à vis de l’arbitre contraignant qu’un autre individu ou l’Etat exercent sur une personne. Kant parle de cette liberté comme de « l’indépendance vis à vis de l’arbitre contraignant exercé par un autre individu »  et il nomme cette liberté « cet unique droit originaire qui appartient à tout homme en vertu de son humanité » (Kant, M. des mœurs). Ceci vaut pour la définition négative de la liberté, car elle est définie comme l’absence de toute contrainte. Quant à la dimension politique et juridique de la liberté Kant la conçoit comme un espace de liberté d’action dans lequel chacun peut s’épanouir en étant indépendant de tout autre. Au sujet de l’aspect juridique de la liberté, il n’y a pas lieu de définir de façon plus précise de quelle façon l’individu se sert ou devrait se servir de sa liberté dans cet espace de liberté d’action. Mais ceci a de graves conséquences : car les actions d’un individu qui ne doivent servir que dans le cadre de la liberté personnelle peuvent constituer des obstacles à la liberté d’un autre. Kant voit la solution à ce problème dans une loi universelle, lorsqu’il écrit : « La loi de droit universelle est donc : agis extérieurement de telle manière que le libre usage de ton arbitre puisse coexister avec la liberté de tout homme selon une loi universelle … » (Kant, M. des mœurs). Avec la «  loi de droit universelle »  qu’il évoque ici, Kant voit la possibilité paradoxale de contraindre celui dont l’agir constitue un obstacle à la liberté des autres, à renoncer à cet agir. Le titre du paragraphe dans lequel est exposée cette contrainte justifiée par le droit lui-même est significatif : « Le droit est lié à la  capacité de contraindre ». (Kant, ibid.). Cette capacité du droit à contraindre trouve cependant pour Kant sa limite là où l’autre concept de liberté entre en jeu, c’est-à-dire la liberté en tant que idée. Celle-ci dit, pour être bref : L’homme comme être doué de raison est en principe capable de s’adapter dans son vouloir et son agir à la loi morale que propose la raison pratique. D’après sa forme cette loi morale est identique à l’impératif catégorique qui, dans sa première formulation s’énonce : « agis seulement selon la maxime dont tu voudrais qu’elle devienne une loi universelle ». Il serait sans doute souhaitable que tous les hommes agissent en fonction de la loi morale. Cependant c’est précisément l’idée de cette liberté qui interdit de façon stricte qu’un législateur contraigne les citoyens de son Etat à agir selon la morale. Kant écrit à ce sujet dans son œuvre tardive La religion dans les limites de la raison pure (1793) : «  Malheur au législateur qui voudrait obtenir par la contrainte une constitution orientée vers des buts éthiques ! Car par là même il n’obtiendrait pas seulement le contraire des buts éthiques, mais il dissimulerait et rendrait incertains ses buts politiques ». (Kant, ouvrage cité).

Bilan provisoire N°5 : La philosophie politique, complétée par la philosophie morale à l’époque des Lumières a développé un concept de liberté dans lequel la liberté de l’individu est liée à la loi universelle. En dehors aussi du domaine religieux, la liberté est subordonnée à la loi, tant que l’individu en tant qu’être libre se soumet à une forme de loi choisie par lui. Kant définit  la volonté qui le pousse à cela, en s’appuyant sur une représentation de la causalité naturelle, comme « une sorte de causalité des êtres vivants, dans la mesure où ils sont doués de raison ». Ceci semble paradoxal : mais Kant comprend la liberté de la causalité naturelle comme causalité, comme une volonté libre  qui se donne des lois en fonction de sa raison.

6ème étape : Karl Marx ou : La « réconciliation » de l’individu et de la société dans le travail collectif ?

Le Genius loci (génie des lieux) nous oblige à nous incliner devant le philosophe puisque nous nous trouvons aujourd’hui dans sa ville natale, l’année qui marque le bicentenaire de sa naissance. Qu’en est-il de la liberté individuelle chez Karl Marx ? Jusqu’à la Révolution de 1848, Marx présentait, comme journaliste et rédacteur dans un journal pour « Politique, Commerce et Industrie » des positions radicales et libérales. Elles critiquent avec violence tous les reliquats de la société de classes du Moyen-Age, où  le hasard de la naissance décidait des avantages et désavantages d’un individu dès le début de sa vie : noble, bourgeois, ou paysan, riche ou démuni, élu ou damné, selon sa classe, son ethnie, sa religion, et déterminait ainsi son appartenance à la collectivité.  Des libéraux comme Marx luttaient devant cet état de fait pour une société dans laquelle seuls le talent et le zèle individuels et leur mise en oeuvre choisie volontairement devaient être déterminants pour le sort de chacun.

Cependant même lorsque Marx était depuis longtemps devenu socialiste, en 1875, il critiquait de façon virulente le programme du parti social démocrate allemand alors en gestation, avec des arguments derrière lesquels on voudrait supposer plutôt un parti de démocratie libérale (Marx parle de « parti de  libre-échange »). Ainsi il se moque par exemple en disant que le programme du parti social démocrate sous l’influence de son ancien adversaire, Ferdinand Lassalle, était « complètement vicié par la soumission aveugle à l’Etat de la secte de Lassalle » (Marx / Engels). Même dans les dernières années, Marx critique de façon virulente l’Etat qui lui paraît suspect en tant que « machine à contraindre » avec son droit et son système répressif, sa police et sa bureaucratie. Mais l’arrière-plan de sa pensée dans cette vive critique au cours des dernières années de sa vie n’est toutefois plus celui d’un libéral. Les espoirs du Marx libéral s’étaient évanouis en 1848 après l’échec, en Europe, d’une révolution démocratique mal préparée et détournée de ses objectifs par des amateurs. Marx voulait toutefois aussi éviter que le socialisme, en train de s’organiser en parti politique, ne retombe dans un libéralisme.

A l’arrière-plan de sa pensée il faut voir au contraire, l’idée que « individu » et  « société » ne sont plus les opposés irréconciliables tels qu’ils apparaissaient à bien des libéraux. L’individu, muni de droits et de possibilités de participation est engendré par une société déterminée dans laquelle règnent à grande échelle partage du travail tout comme production et reproduction des bases de la vie, comme ce fut le cas pour la révolution industrielle au 19ème siècle, ou encore au 21ème pour le marché mondial mis en réseau par Internet. Cependant cet individu a besoin de la richesse et de la culture pour vivre. Dans sa critique du programme de Gotha, Marx écrit : « La source de la richesse et de la culture » doit être le travail, mais pas le « travail individuel » qui peut certes produire des « biens de consommation », mais « ni richesse ni culture », mais uniquement le « travail collectif » ou, ce qui revient au même, le travail « dans et pour la société » (Marx/Engels). Selon Marx toutefois, le capitalisme  pervertit le profit du travail collectif. Car si l’affirmation selon laquelle le travail collectif est « source de richesse et de culture » demeure incontestable, il est tout aussi incontestable que : « Dans la mesure où le travail se développe de façon collective et devient par là source de richesse et de culture, la pauvreté et la misère se développent du côté du travailleur et la richesse et la culture du côté du non travailleur ». (Marx/Engels). Ce n’est que dans la société communiste considérée comme possible par Marx que pourrait être instaurée la liberté individuelle que l’on peut attendre par le travail collectif. Dans cette société ou « Association d’individus libres » chaque individu jouit de l’absence de toute contrainte et  peut disposer librement de son temps, ce qui lui permet – ainsi que l’exprime la formule du jeune Marx devenue célèbre – « faire aujourd’hui ceci, demain cela, aller à la chasse le matin, à la pêche l’après-midi, faire de l‘élevage le soir, faire de la critique après le repas (….) sans jamais  devenir ni chasseur, ni pêcheur, ni berger ou critique » (Marx/Engels).

Bilan provisoire N° 6 : On débat encore toujours, et ce débat est attisé par cette année jubilaire, pour savoir si les analyses de Marx concernant le développement économique et sociétal à long terme pouvaient résister au temps. L’optimisme de Marx concernant le fait de surmonter tous les maux que la forme de production capitaliste entraine pour « l’association des individus libres » se nourrissait de l’espoir que le capitalisme s’effondrerait en raison de ses propres contradictions. Ce pronostic ne s’est pas encore vérifié. Cependant l’histoire n’est pas finie. Et si l’on ne réussit pas à enrayer le processus de destruction de la nature qu’entraîne la forme de production capitaliste, alors Marx a encore des chances d’avoir raison. Mais il n’y aurait alors plus personne sur cette planète pour en faire le constat.

7ème étape : Hannah Arendt, ou : Qu’est-ce que la liberté et quelle est sa signification pour nous ?

Il y a quelques mois est paru dans les œuvres posthumes de Hannah Arendt, la représentante la plus importante de la philosophie politique du 20ème siècle, un essai intitulé : « La liberté d’être libre ». On ne l’a découvert qu’en 2017, mais il date, ainsi que c’est noté sur le manuscrit, des années 1966/67 et a sans doute servi de base à une conférence. On ne sait si cette conférence a été donnée. Cet essai fait une large place à une comparaison entre la révolution américaine de 1776 et la révolution française de 1789. Il est question de la réussite de la première et de l’échec de la dernière, ainsi que de la prise en compte  paradoxale du fait que celle qui a réussi n’a connu qu’un écho local alors que celle qui a échoué est devenue le symbole de la révolution par excellence. Cependant, à la fin de ses réflexions, Arendt formule une pensée surprenante qui vise avant tout le pessimisme auquel on succombe si facilement lorsqu’on considère l’histoire dans son ensemble et celle des révolutions en particulier : En rappelant la  quatrième et si célèbre églogue du poète latin Virgile qui célèbre avec le règne d’Auguste le début d’une nouvelle ère, Arendt voit ce texte comme un « hymne à la naissance » qui « célèbre la naissance en soi, (….) le grand miracle salvateur (….) qui viendra  délivrer l’humanité » (Arendt, 2018). Arendt relie cette pensée du nouveau commencement que marque chaque naissance à sa profonde conviction anthropologique selon laquelle la capacité d’agir fait de l’homme un être politique. Mais agir signifie commencer quelque chose de neuf qui n’existait pas auparavant. Le fait que, en tant qu’homme, nous possédions cette capacité est, pour Hannah Arendt, « liée de façon évidente au fait que chacun d’entre nous par sa naissance est arrivé dans le monde comme un nouveau venu. En d’autres termes : nous pouvons commencer quelque chose parce que nous sommes des débuts et donc des débutants ». (Arendt, 2018).

Bilan provisoire N° 7 : La pensée de Hannah Arendt selon laquelle la naissance de chaque être humain constitue un nouveau début, modeste mais qui fait fi de tout ce qui s’est fait jusque là  nous secoue. Cette pensée ouvre la liberté de se détourner de tout ce qui était considéré comme connu depuis longtemps et d’oser quelque chose de neuf,  d’abord dans le domaine de la pensée puis peut-être aussi dans le domaine de l’agir. Dans une certaine mesure cette pensée rappelle aussi le célèbre slogan emprunté au poète latin Horace que Kant énonce dans son développement sur les Lumières, (« Aufklärungsaufsatz ») à savoir sapere aude, du courage de se servir de sa propre intelligence.

Conclusion

Le pouvoir de l’Etat tend par définition à empiéter sur la liberté de l’individu, soit de façon positive, paternaliste et bienveillante, soit de façon négative par des contrôles et une mise sous tutelle autoritaire. C’est pourquoi il est nécessaire de réguler le pouvoir de l’Etat. La liberté de l’individu tend par définition à empiéter sur celle des autres. C’est pourquoi il est nécessaire de limiter la liberté de l’individu. Ce conflit tantôt latent, tantôt exacerbé entre l’affirmation de soi de l’individu et la mainmise du pouvoir de l’Etat qui a tissé durant des siècles l’histoire de l’Europe, ce conflit a trouvé sa « solution » dans la forme de l’Etat de droit libéral et démocratique. L’Etat de Droit libéral et démocratique, qui, inspiré par des siècles d’efforts d’une philosophie politique, a pris forme à la suite de longs débats politiques, cet Etat apporte un équilibre jamais atteint jusqu’alors, entre la liberté individuelle et le pouvoir de l’Etat. C’est la Constitution qui est le garant de cet équilibre. L’ancien Président du Bundestag, Norbert Lammert, a qualifié la constitution de la République Fédérale d’Allemagne de « heureux hasard particulier dans l’histoire allemande » (série d’émissions de la radio  « La Constitution nous concerne tous » 2017). Et il nous suffit de relire  attentivement les quelques pages des droits de base de la Loi fondamentale ainsi que le préambule et les 19 premiers articles pour pouvoir souscrire à ce jugement. Je dis ceci non pas parce que en tant que fonctionnaire allemand j’ai le devoir d’être loyal envers l’Etat qui me nourrit, mais je le dis en tant que personne faisant un usage public de sa raison – pour reprendre les termes de Kant – . En ce qui concerne notre sujet, il me semble que 4 aspects doivent être particulièrement rappelés :

1   Le fondement de l’ensemble de l’élaboration de la Constitution déclare « inviolable »  «la dignité de l’homme » (Art.1), concept emprunté à la tradition religieuse et philosophique de l’Occident.

  1. L’énoncé des droits fondamentaux de chaque citoyen, en commençant par le libre épanouissement de la personnalité (Art. 2) et en allant jusqu’au droit de faire des pétitions (Art. 17).
  2. La prescription qui fait une obligation à l’ensemble des pouvoirs de l’Etat, de « ne jamais violer aucun des droits fondamentaux  » (Art.19).
  3. La conclusion de la partie des droits fondamentaux par le droit fondamental essentiel qui garantit à chacun une protection juridique sans faille face aux atteintes du pouvoir de l’Etat ressenties comme contraires au droit (Art. 19).

L’expression « heureux hasard » ne concerne peut-être pas seulement la qualité de la Constitution mais, au-delà, la chance d’être né citoyen d’un Etat protégé par une telle Constitution. Chance au sens de bonne fortune est également – nous en faisons sans cesse l’expérience – une notion variable. Dans une certaine mesure cette expression rappelle aussi que si l’équilibre entre liberté individuelle et pouvoir de l’Etat est protégé par la Constitution, il n’est jamais assuré de façon définitive et reste fragile. Cet équilibre peut être maintenu dans la durée uniquement par la participation active et constante des citoyens aux affaires qui les concernent eux-mêmes ainsi que l’Etat dans son ensemble. Car la réalité actuelle de cette « solution » dans l’Etat de Droit démocratique est limitée de façon très étroite dans le temps et dans l’espace. Et elle se trouve de plus en concurrence avec les nombreuses formes de pouvoir autocratique, Etats dans lesquels le pouvoir oligarchique des élites pèse lourd et où la liberté de l’individu n’a pas de poids. Nous devrions rester toujours conscients que cette situation, considérée de façon globale, est le résultat d’un cheminement particulier. La plupart des Etats sur cette terre ne connaissent en fait aucune garantie du droit à la liberté individuelle, ils ne connaissent pas le partage des pouvoirs, ils ne connaissent pas la séparation de la religion et de l’Etat, et leurs responsables politiques ne considèrent pas même nos acquis comme étant souhaitables pour eux. Bernd Roek historien qui enseigne à Zürich écrit à ce sujet : « L’antique Utopia pour un moment historique n’est plus un ailleurs, c’est la société de l’Etat de droit libéral et démocratique qui s’est réalisée en quelques points du globe. L’histoire de l’humanité a travaillé durant des millénaires à ce projet. On a versé des quantités de sang incroyables (…). En comparaison avec toutes les alternatives que l’histoire a produites jusqu’ici, la société civile occidentale apparaît vraiment comme la meilleure de toutes les sociétés possibles » (Roek 2009).

Conférence internationale du Siesc Trier

Traduit de l’allemand par Marie-Louise FINQUENEISEL.