par Lucien Morren

President du Comite du S10S

A l’occasion du 40e anniversaire de la fondation du MIIC, il nous a été demandé une contribution en tant que principal responsable de son Secrétariat International des Questions  Scientifiques, le SIQS. Nous répondons très volontiers à cette aimable invitation.

Sur la place du SIQS au sein du MIIC

A une époque ou notre culture, notre vision du monde et nos mentalités sont marquées en profondeur par un développement scientifico-technique prodigieux, qui ne trouve aucun point de comparaison dans l’histoire, il serait inconcevable qu’un Mouvement d’intellectuels Catholiques tel que le MIIC ne se préoccupe pas de très près des répercussions d’un tel développement dans le sphère religieuse. La necessite de repondre a parel besoin fut d’ailleurs ressentie très tôt puisque c’est en 1951, done 4 ans seulement après la naissance du MIIC, que l’on peut dater celle du SIQS.

Ce dernier prenait ainsi sa place dans Pax Romana a côté d’autres Secrétariats Spécialisés mais avec une particularité qu’il tient toujours à souligner : ce n’est pas un Secrétariat de professionnels (en l’occurrence de scientifiques) mais un organe destiné à creuser et a rendre présentes des questions. Et quelles questions ! Par leur impact global sur la culture contemporaine, que nous venons tout juste d’évoquer, elles influencent l’ensemble de nos contemporains et pas seulement ceux auxquels l’étiquette “scientifique” peut être apposée. C’est pourquoi ces questions interpellent les tenants de toutes disciplines, les théologiens et les philosophes en particulier.

Vue dans cette perspective, la création au sein du MIIC d’un Secrétariat Spécialisé pour les Questions Scientifiques présente à la fois des avantages et des dangers. Avantage indéniable de disposer d’un lieu de dialogue et de rassemblement d’esprits particulièrement sensibilisés à la problématique en cause qu’il s’agit d’aborder avec sérieux et compétence. Mais danger par centre de renforcer la trop fréquente coupure qui sépare deux formes de cultures entre lesquelles il importe de jeter des ponts. Et ce danger concerne aussi bien les “scientifiques” que les autres intellectuels, disons, pour faire bref, les “littéraires”. Les “scientifiques”, pour commencer par eux, ne doivent pas oeuvrer vase clos et, d’ailleurs, depuis son début, le SIQS a toujours t nua bénéficier de la collaboration de theologians et de philosophes (pour ne citer qu’eux),  une  exigence  puisque  la  nature  même  des  questions  à traiter impose

l’interdisciplinarité. Quant aux “littéraires”, le danger  serait de  penser que, puisqu un organe spécialisé a été mis en place, ils n’ont plus à se soucier de ce genre de questions alors que c’est toute l’ambiance culturelle et spirituelle qui en est affectée. Chacun se trouve done implique et, par ailleurs, contrairement à une crainte par trop répandue, s’intéresser à la  problématique science-foi ne demande qu’une ouverture globale de l’esprit, facilitée par une vulgarisation de qualité, et nullement l’acquisition de connaissances spécialisées qui pourrait juste titre rebuter.

C’est précisément en vue de parer à ce danger de séparation que le SIQS est si désireux de travailler le plus possible en connexion étroite avec le Mouvement dans son ensemble. En  témoignent notamment les dernières “Journées du SIQS” jumelées aux Conférences des Fédérations Européennes du MIIC tenues à Rome en 1982 et à Innsbruck en 1985. On se plait  évidemment aussi à rappeler les participations du SIQS aux jubilés de Pax Romana célèbres à Fribourg en 1961 et en 1971.

Ce qui se maintient et ce qui évolue dans les rapports science-foi

On peut dire que la problématique science-toi surgit avec l’avènement de la science moderne. La pensee théologique médiévale s’était largement figée dans un système conceptuel qui comportait notamment une vision du monde que les découvertes scientifiques de la Renaissance ne pouvaient que bousculer.

L’histoire de cette confrontation est bien connue. L’ancienne vision était géocentrique, le cosmos ne pouvant servir que d’enrobement à la terre, berceau du Christ, elle limitait sa perspective temporelle à l’histoire sainte et elle était de plus fixiste.

La science allait progressivement découvrir que la terre n’était qu’une modeste planète d’une modeste étoile, perdue dans la double immensité de l’espace et du temps et que tout, cosmos et vie, évolue.

Tout cela devait provoquer un choc. D’autant plus qu’un très grand nombre de phénomènes,  considérés  naguère comme surnaturels,  trouvaient  une explication naturelle. Alors, le glissement est aisé d’un Dieu inutile a un Dieux inexistant. La science est inéluctablement désacralisante, sécularisation, comme son associée la technique l’est aussi. Son influence ne s’arrête toutefois pas la. Mais il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour qu’à travers des épreuves dont un bon nombre sont dans toutes les mémoires, le christianisme découvre que la science peut être aussi un puissant agent de purification de sa vision du monde et de la manière d’y concevoir l’action de Dieu.

Aujourd’hui, les le9ons ont largement porté leurs fruits. Et puisqu’il convient ici de centrer l’attention sur les 40 ans d’existence du MIIC, comment ne pas rappeler que le Concile Vatican II, dans sa célèbre Constitution Pastorale “Gaudium et Spes” a pleinement reconnu :

  • la valeur de la science et de la technologie;
  • leur appartenance a la vocation humaine;
  • leur légitime autonomie (sous réserve d’exigences éthiques);
  • leur impact puissant sur les cultures.

Depuis lors, et à maintes reprises, le pape actuel a prononcé des paroles extrêmement fortes allant dans le même sens. Ne citons que celles-ci : “L’Église, fondée par le Christ qui s’est déclaré la Voie, la Vérité et la Vie, reste toutefois composée d’hommes limites et solidaires de leur époque culturelle. Aussi avoue-t-elle être toujours intéressée par la recherche en ce qui concerne la connaissance de  l’univers physique, biologique ou psychique. C’est seulement par l’étude humble et assidue qu’elle apprend à dissocier l’essentiel de la toi des système scientifiques d’une époque, surtout lorsqu’une lecture accoutumée de la Bible apparaissait comme liée à une cosmogonie obligee”. (1)

Mais la science elle aussi évolue. Par l’extension même de ses découvertes, par une investigation toujours plus pénétrante d’une nature multiforme, elle a pris une vive conscience qu’un approfondissement de la connaissance s’accompagne de la rencontre de déroutantes enigmes. Au point que l’on peut dire que l’objet de la science est devenu le sujet du mystère. Une situation tout à fait inattendue ii n’y a pas si longtemps encore!

Il serait toutefois dangereusement illusoire de restreindre révolution de la science a cette ouverture, laquelle, au surplus, comme nous le verrons, n’est pas exempte d’ambiguïtés. D’autres avancées scientifiques, elles, renforcent une pression matérialiste qui ne date pas d’hier car elle est etroitement liee a la méthode scientifique même, laquelle est fondamentalement réductrice. En ce sens que toute explication scientifique repose sur une cause antérieure au phenomena investigue et donne, à chaque émergence, a chaque “progrès”, inférieure à ce qu’elle produit. Dès lors, selon pareille pente, de proche en proche, tout se réduit finalement à la matière.

Dresser un tableau de la situation actuelle de la science au regard des valeurs spirituelles impose done d’envisager des éléments fort contrastes. Mais, pour mieux les situer, ii nous faut remonter un peu plus haut dans le temps, il y a pratiquement un siècle, à l’époque de ce que l’on a appelé le “scientisme” et qui marque sans doute le point culminant d’un divorce entre science et foi.

Le “scientisme”, ses reliquats et les remèdes qu’il appelle

On peut trouver différentes définitions du scientisme. Une des plus courtes, et de ce fail partielle, est néanmoins celle qui conviendra le mieux à nos propos. Nous la trouvons dans l’Abrégé du Littré : “Doctrine selon laquelle il n’y a de connaissance que celle des sciences positives”. C’est, on le voit, la revendication d’un monopole, une forme de totalitarisme qui, au tournant de notre siècle, entendait aller plus loin, expulser toute autre doctrine et, meme, reservee a la science le soin d’assurer le bonheur de l’humanité Pareille ambition ne pouvait certes durer longtemps. Au cours de la première moitié de noire siècle, l’expérience de deux guerres mondiales allait ouvrir les yeux de tous sur l’ambivalence foncière des applications de la science, qui pouvaient servir au meilleur comme au pire. Dans le fracas de la bombe d’Hiroshima retentissait aussi une sonnette d’alarme!

Les ambitions totalitaires durent done se restreindre mais il serait vain de croire qu’elles ont disparu. Elles se sont très exactement rabattues sur le champ de la connaissance, selon la definition courte et toujours actuelle du scientisme que nous avons retenue. Et à ce plan restreint, elles ont fait tache d’huile, elles ont véritablement imprégné l’état d’esprit de la modernité. Nous lisions récemment dans une publication des États-Unis ce qui suit (librement traduit) : “Dans la culture américaine, il va de soi que la science fournit la seule voie sûre d’accès à la connaissance”. (2) Et dans combien d’autres régions du monde, ne pense-t-on pas de même ?

Or pareille attitude d’esprit est tout simplement désastreuse pour la foi. Celle-ci, ne procédant assurément pas de la rationalité scientifique, se voit alors privé de toute motivation fondée pour ne plus être que pure option sentimentale. Dans un autre langage, remis en valeur de nos jours, on peut encore dire que la situation reflate l’oubli du “raisonnable” (la raison pratique, élargie) devant la “rational” (en gros, la rationalité scientifique deductive), un oubli qui, comme le dit le philosophe des sciences Jean Ladrière, témoigne d’une “tentative permanente de la culture moderne de rabattre le raisonnable sur le rationnel” (3). Rejeter !’intervention de la raison dans l’adhésion de foi est une position qui porte un nom, le “fidéisme”. Et il y a ainsi un rapport étroit, trop peu souligné, entre scientisme et fidéisme car tous deux reposent sur des exclusivistes opposés qui ne peuvent conduire qu’à une  schizophrenia, dans une incapacité de conjoindre la vision de Dieu comme Créateur d’un monde a nous confie et ou notre investigation scientifique aura à dégager toutes ses virtualités; et comme Révélateur d’un amour qui nous a appelés à partager sa vie, mais non sans l’éclairage de signes au travers desquels il s’est manifesté dans notre histoire.

Nous venons d’utiliser un mot clé, le mot “signe”. C’est pour ne retenir à nouveau qu·une définition brève, un fait ou un événement porteur de sens. Le signe a une importance capitale en matière de foi:

  • c’est au travers de signes que Dieu nous parle dans l’histoire;
  • le mode de connaissance par signe permet d’harmoniser dans l’adhésion de foi le don gratuit de Dieu et le jeu des facultés humaines, volonté libre et motivation raisonnable;
  • le signe s’appui sur un élément factuel, ce qui est si prisé aujourd’hui, pour accomplir l’une des missions actuellement les plus urgentes, celle d’ouvrir les esprits à la sphère du sens.

Remettre en valeur ce mode de connaissance par signe revet done une importance majeure dans noire ambiance culturelle mais l’entreprise demande toute une pédagogie du fait que ce mode differe profondement d’une rationalité déductive qui tend, comme nous l’avons vu, à étouffer toute raison elargie. Ce mode de connaissance n’est en effet ni contraignant ni autonome, car il exige l’appui d’une faculté percevante (la grâce en matière de foi) et une sympathie pour son objet (l’élan de la volonté fibre) de telle sorte que la raison soit a la fois éclairée et attirée. Mais, sous cette double probante des signes qui fondent son adhésion. (4) La foi est ainsi comme l’a dit Joseph Malègue, tout ensemble “par grace, vertu aidée, par le jeu d notre volonté, vertu libre, et de par notre raison, vertu fondée”. (5)

Nous sommes bien là à l’opposé du fidéisme comme du scientisme, qu’il s’agit tous deux de dénoncer. Car tous deux méconnaissent l’intégralité de l’homme, le premier en excluant la raison de la foi le second en excluant la foi de la raison. Ils se rejoignent done dans l’instauration d’une même et abusive coupure alors qu’il s’agit au contraire d’associer raison et foi, s’assurer une symbiose.

Symbiose, littéralement vivre-ensemble, nous paraît le mot juste, préférable à synthase afin de mieux respecter la distinction des plans. Or, à ce sujet, il y a d’autres menaces. Nous venons de rapidement esquisser les avatars de la visée totalitaire du scientisme et comme cette visée s’est repliée sur l’accaparement de la raison. Mais il nous faut maintenant faire retour a l’autre marque essentielle du scientisme, son caractère réducteur, que nous avons déjà brièvement évoquée. Son lien étroit avec la méthode scientifique elle-même explique que son influence soit  beaucoup plus tenace. Et si tout, finalement, doit etre reduit a la matiere, c’est une autre manière d’extirper le spiritual… et de redevenir totalitaires.

Mais c’est ici que l’évolution récente des sciences nous présente des éléments extrêmement contrastes sur lesquels nous avons à diriger notre regard. Et le contraste en cause porte sur un point de toute première importance, ce que nous pouvons appeler la question-pivot de sens.

Ambitions et limites de l’explication réductrice

L’explication scientifique ne veut connaître que des causes antécédentes et rejette a priori touts cause finale. Un cheminement qui conduit par méthode à la réduction de toute chose a la matiere. II conduit aussi corrélativement à la perte du sens. Entendons-nous, des sens partials peuvent certes subsister. Mais, dans le contexte qui est ici le nôtre, nous visons évidemment le sens ultime, la raison d’être des choses et de nous-mêmes, “en fin de compte”.

Un peu de réflexion nous indique que !’explication proprement scientifique suscite cette perte du sens par deux voies convergentes : d’une part, la résorption du spiritual (réduit au rang d’un épiphénomène) entraîne nécessairement celle du sens ultime, impensable sans la primauté de l’esprit; d’autre part, la science ne peut et ne veut envisager que des questions portant sur le “comment” des choses et elle écarte ainsi voire jette dans l’oubli, les questions du “pourquoi” et du “pour qui”.

Au cours de notre siècle, l’avènement de l’ensemble de disciplines regroupées sous l’appellation de “sciences humaines” a notablement renforcé cette tendance. Prenant l’homme comme objet de leurs éludes, elles l’objectivent si bien qu’elles finissent, ou risquent de finir, par ne plus voir en lui le sujet. En recherchant des lois régissant le comportement humain, soit collectif pour la sociologie, soil individual pour la psychologie, l’homme se voit trap souvent prive de liberte. La distinction entre conditionnement et déterminisme tend à s’estomper.

II est aussi classique de dire que la psychanalyse fait de l’homme le jouet de son inconscient. Pourtant, comme l’a finement montre le professeur L. Casiers (de Louvain) tors de la “Journée du SIOS” de Rome en 1982, une véritable psychanalyse est bien plus respectueuse du mystère de l’homme que bien des psychologies dites scientifiques, à prétentions “objectives”, qui “mettent entre parenthèses tout caractère intentionnel du discours humain”. (6) (II n’y a que le psychologue lui-même qui prétend échapper à cette invalidation, comme le note avec humour le professeur Cassiers !). Chez ces psychologues, dont l’Américain Skinner fournit le paradigme, nous retrouvons bien la persistance d’un scientisme négateur de la liberté et, du même coup, négateur de l’esprit.

Sans doute, pourrait-on mettre la sociologie semblablement en cause. Mais je laisserai de côté sa vaste secteur des sciences humaines, qui m’est par trop étranger, pour relever un autre ressourcement du scientisme qui surgit, lui, du prodigieux développement de l’informatique. Nous visons très particulièrement l’avènement du secteur de l’informatique connu sous l’appellation ambiguë “d’intelligence artificielle”. II ne s’agit évidemment pas de minimiser les étonnantes performances déjà réalisées ou en voie de l’être mais bien d’une mise en garde à l’égard d’un courant d’idées déjà fort répandu qui, extrapolant sans nuances les succès obtenus, en arrive à ne voir dans le cerveau humain qu’un ordinateur perfectionne susceptible, les progrès aidant, d’être non seulement partiellement mais intégralement simule. Pareilles vues impliquent que toutes les opérations de l’esprit soient en définitive réductibles à des opérations programmables, done de type “binaire” (on pourrait dire de type “oui” ou “non”). Mais, sans même prendre en compte le registre de l’affectif, comment, pour revenir au “signe”, pourrait-on ramener a un tel schéma la saisie de son sens qui met en jeu des appréciations intuitives sans même parler de l’éclairage de la grâce ! C’est vraiment le moment de rappeler la distinction pascalienne entre “esprit de finesse” et “esprit de géométrie” que l’on pourrait à nouveau transposer en distinction entre “raisonnable” et “rationnel”, qu’un courant réducteur  persistant tend, en diverses sciences, à se fermer sur lui-même et à exclure le sens, il en est un autre, d’ouverture, qui oriente les esprits dans une direction diametralement opposee en suscitant des interrogations de tres grande portee.

Ce n’est pas. bien sur, le fait que la science ait à affronter des zones d’ombre et des inconnues qui est neuf. Ce qui l’est, c’est que les interrogations que nous visons ont surgi à l’intérieur même de la science, a l’occasion de ses plus pénétrantes percées et qu’elles ont présenté des  caractères tout à fail déroutants au regard des perspectives traditionnelles, soulevant de veritables problemes philosophiques.

Auparavant la science se voyait volontiers comme une plage claire, s’agrandissant sans cesse aux dépens d’une zone extérieure d’ignorance et de ténèbres; à l’intérieur, la connaissance s’ordonnent selon une architecture rationnelle et cohérente, articulant tout le champ du savoir.

Aujourd’hui, ce tableau n’est plus valable et cela du fait de creuser plu profondément le domaine même de l’investisse. lci, c’est l’esprit que l’on voulait éliminer qui reprend ses droits; la on bute  sur une limite sans antécédent connaissable; la, encore, c’est le “bon sens” qui est bouscule au point de  devoir renoncer à l’idée même de représentation. Bret, en cherchant à toujours mieu connaître, c’est le mystère que l’on rencontre, mais un mystère qui, comme en matière de toi d’ailleurs, est invitation à aller plus loin, à briser des cadres troi: etriques, a accueillir un inattendu qui nous libère de carcans et qui se profile même comme porte ouverte sur le sens.

Nous voudrions illustrer ces propos par de brèves incursions dans les sciences de le vie, la cosmologie, la physique, qui sont bien les domaines de pointe en sciences de la nature.

Dans le premier de ces domaines, je m’empresse de m’appuyer sur une compétence internationalement reconnue, le neurophysiologiste John C. Eccles, prix Nobel. Dam son ouvrage significativement intitulé “Le Mystère humain” (7), il met notamment l’accent sur des expériences électroencéphalographiques récentes qui manifestent il spécificité des processus de décision : le cerveau ne fonctionne pas alors comme il le fait en cas de simples réflexes. Eccles parle à ce sujet de “probleme neurologique fondamental” car il engage toute la question de l’interaction entre l’esprit  et le corps de la nécessaire  prise en compte d’un élément proprement spiritual. La science qui voudrait ignorer toute cause finale la retrouve dans la trace d’un “projet” bien distincte de celle de la réaction à une stimulation antecedente. On pourrait sans doute proposer d’autres exemples tirés des sciences de la vie. La biologie a et complètement transformé au cours de ce siècle et on peut en dire autant de Ia cosmologie.

En ce domaine, l’idée d’une évolution globale, qui se limitait auparavant aux être: vivants, a fait une entrée révolutionnaire. L’ancienne vision d’un univers statique (dans  son ensemble) a dû être abandonnée  pour faire place à celle d’un univers en expansion surgissant, avec l’espace et le temps, d’une singularité initiale explosive sans antécédent réparable. On tient ici à mentionner que ce fameux “Big Bang” a été proposé pour la première fois, sous le nom d’atome primitif”, par un prêtre-scientifique, Mgr. Lemaître, de l’Université de Louvain (qui fut aussi Président de l’Académie Pontificale des Sciences). Get événement fabuleux est aujourd’hui date d’il y a environ 15 milliards d’années. D’emblée, un colossal mystère. Mais une autre source d’intenses réflexions a surgi en cosmologie depuis une vingtainE d’années avec le “Principe Anthropique”, un ensemble de considérations portant sur les conditions pour que l’univers puisse porter la vie… et l’homme, l’Anthropos. Ce: considérations justifient non seulement ses invraisemblables dimension: spatio-temporelles mais  elles  dévoilent  encore  l’extrême improbability d’avoir univers qui permette à la vie d’apparaître. “Tout se passe comme si notre univers avail ete “selectionne” pour qua nous puissions advenir ! Nous trouvons-nous à nouveau devant une cause finale ? Des cosmologistes, et non des moindres, franchissent le pas.

II appartient toutefois à la physique de s’approcher le plus près de l’ultime de la structure de la matière et c’est bien dans la poursuite de cette entreprise qui s’est manifestée au mieux la transcendance de la réalité par rapport à la finitude de notre esprit. Le comportement des entités ultimas sur lesquelles s’échafaude le monde, que ce soient, par exemple, des électrons ou de la lumière. nous impose en effet de les considérer tour à tour selon deux aspects, l’un corpusculaire et done localisé dans l’espace, l’autre ondulatoire et dès lors nécessairement diffus dans l’espace, qui sont ainsi inconciliable!es du point du vue de leur représentation. C’est là l’essence du principe de complémentarité, une expression forgée par Niels Bohr qui entend par là que, d’une part, ces aspects se contredisent et, d’autre part, qu’ils se complètent. On ne peut mieux bousculer noire “bon sens” , notre “sens commun” et les physiciens ont d’ailleurs  été conduits à renoncer à l’idée même de représentation. Les progrès fulgurants et déconcertants ainsi fails et poursuivis dans cette voie ont amené un physicien-mathématicien, Bernard d’Espagnat, a parler de “réel voilé” et ca réel, pour lui, ne serait pas seulement voilà mais indevoilable ! On est loin des perspectives de maryse dans une transparence sans mystères d’il y a un siècle et ca sont les avancées mêmes de la science qui ont provoqué cette mutation dans nos conceptions. Prenons garde toutefois, il ne s’agit pas, avec le principe de complémentarité, d’introduire le contradictoire dans les choses en elles-mêmes mais bien de reconnaître que l’approche de l’ultime nous accule à prendre conscience de certaines limites de nos capacités d’emprise. A nouveau, creuser davantage nous fail, au fond de la fouille, rencontrer le mystère.

Dans l’esprit de Bohr, nous dit un autre fondateur de la physique moderne, Louis de Brogli, “cette notion de complémentarité paraît avoir pris l’importance d’une véritable doctrine philosophique” (8) et ii a Ires tôt suppose qu’il pourrait servir à mieux rendre compte du double aspect, physico-chimique et proprement vital, des phénomènes de la vie. Un tel appui nous a beaucoup encouragé à retrouver, sous des modalités bien entendu diverses, de structures de complémentarité à tous les niveaux de l’être. Mais une adaptation du vocabulaire est dès lors conjointement requise et ce sont les notions de substrat et d’information qui nous paraissent le mieux convenir à cette généralisation. Nous ne pouvons ici nous étendre sur ce sujet que nous avons déjà, en diverses occasions, développe ailleurs car il constitue véritablement la trame d’une pensée. Bornons-nous au tableau récapitulatif suivant qui, en parcourant l’axe majeur de l’évolution, y retient cinq niveaux de l’etres:

  • Au niveau des entités élémentaires de la physique (dont nous sommes partis) le substrat corpusculaire est guidé par l’onde informatrice.
  • Au niveau des atomes et des molécules, le substrat des entités élémentaires prend forme grâce aux interactions (sans interactions, done sans affinité, la matière serait “informé”).
  • Au niveau biologique (la cellule), les macro-molécules (substrat) ne deviennent vit que grâce à une organisation informatrice.
  • Au niveau animal (développe), le corps biologique fonctionnel (le substrat) s’accompagne d’un psychisme informateur du comportement.
  • Au niveau de l’homme enfin, nous avons un être qui garde un corps animal comme substrat mais dont le psychisme a franchi le “pas de la réflexion” pour devenir esprit, conscience réflexive qui pose la question du sens.

A chacun de ces niveaux, nous retrouvons une structure de complémentarité, une nécessaire conjonction dans l’unité de l’être de deux aspects contrastés dont nous ne pouvons nous représenter le lien. Pour illustrer cette incapacité, qu’il suffise, comme chacun peut le faire, de songer à nous-même : il n’y a pas de pensée sans le substrat matériel du cerveau mais comment un réseau de neurones devient-il le support de l’esprit reste le plus colossal mystère. On relèvera encore que la spécificité qui caractérise un niveau émerge toujours du côté de l’information. ce qui correspond au sens de “donner forme”.

Un dépassement par la voie de l’analogie

Mais pour le chrétien que nous sommes, ii y a davantage encore. Cette complémentarité généralisée ne révélerait-elle pas une origine plus profonde ? Nous le pensons. En usant de l’analogie, on ne peut qu’être frappé en constatant dans l’unité de l’être de deux aspects apparemment contradictoires, se retrouve dans tous les grands mystères chrétiens, à commencer par les deux principaux : le mystère de la Trinité, Dieu a la fois Un et Trine; et le mystère de l’Incarnation, le Christ, Homme-Dieu, qui conjoint en son unique personne l’opposé des natures créatrice et créée; on serait tenté de dire : qui conjoint le substrat humain et !’information divine.

II ne s’agit bien sur que d’analogie car on ne situe pas sur le même plan la sphère divine et la sphère créée. Mais l’analogie, justement, qui suppose toujours conjointement différence et ressemblance entre les éléments comparés, permet le respect des distinctions tout en soulignant les harmonies.

Alors, ces précisions étant données, quelles réflexions tirons-nous des propos qui précèdent ? Nous en proposons volontiers deux qui nous font retrouver la voie du signe. Une première est d’ordre pédagogique : comment refuser le mystère religieux sous prétextes de contradictions apparentes si nous sommes acculés à en admettre de similaires dans la sphère profane?

Une seconde est plus profonde car le signe joue alors à plein comme médiateur de sens : l’analogie structurelle dans les formulations des mystères dans les deux registres que nous confrontons projette un nouvel éclairage sur le thème traditionnel de l’Image, si prise à l’époque des Pères de l’Eglise qui voyaient dans la Création, et pas seulement dans l’homme, le reflet du Créateur. Cette analogie structurelle, qui prend la forme du paradoxe. signe de transcendance, laisse pressentir une unité de dessein au toute chose porte à sa manière l’empreinte de son Créateur.

En guise de conclusions.

Un  signe  se propose, il ne s’impose jamais. La remarque s’applique done tout d’abord aux considérations que nous venons de présenter et qui, nous le savons, ne sont pas du goût de tous. Ou mains, auront-t-elles mantra comment, pour la famille d’esprits à Laquelle nous nous attachons, des acquis scientifiques peuvent colorer une vision de foi.

II n’empeche, reconnaissons que l’usage de l’analogie dans la problématique science-foi qui nous retient, exige un équilibre afin de ne verser ni dans un concordisme qui oublie les différences, ni dans une schizophrenia qui ne voit que les dissemblances.

Mais ii y a encore d’autres écueils à éviter. Quand on parle de mystère. un bon nombre confondent le terme avec irrationnel alors que, comme nous l’avons souligné, le mystère doit ouvrir la raison et inviter à poursuivre la réflexion dans un cadre élargi. Or, le danger de dérapage est particulièrement marqué de nos jours alors que prospèrent quantiles de sectes et de mouvements aux positions aberrantes. On ne peut done presenter sans précautions l’ouverture de la science actuelle au mystère, il faut s’assurer contre ce risque de déviation.

Toutefois, pareille dérive vers l’irrationnel ne constitue pas le seul risque. En ce qui touche les  rapports entre science et  foi, ii  en existe un  autre, à l’extrême opposé peut-on dire puisqu’il procède d’un excès ou, pour mieux dire, d’un très mauvais usage de la rationalité. Je suis conscient d’aborder ici un terrain délicat car on peut aisément paraître abusivement prétentieux en s’arrogeant le droit de donner des le9ons a d’autres. qui sont même haut placés. Mais des lectures récentes m’ont trop frappe et les excès à dénoncer sont trop flagrants pour que je puisse garder le silence. Je me refere a deux cas, expressément choisis dans les deux domaines de cultures dont nous déplorons au début de cet article la trop fréquente séparation. C’est done bien le moment d’illustrer par des exemples les dangers d’un tel divorce mais on comprendra que, par souci de discrétion, je me limite, sans donner de noms, aux seules précisions qui s’imposent.

Un premier cas, franchement caricatural, est celui d’un théologien, bien connu comme spécialiste de l’hindouisme, qui rejette la vision scientifique du monde parce que la cosmologie moderne ne ménage pas de place pour les anges et les lois de la physique ne leur laissent pas de liberté ! c’est la cosmologie ptolémaïque qui semble lui convenir.

De telles positions confirment toutefois dans leur vision parfois archaïque qu’ils se font de la pensée chrétienne d’autres esprits, des scientifiques cette fois. L’un d’eux, qui nous fournit notre second cas, est mu par les meilleures intentions mais il en vient à vouloir sauver le christianisme en  sapant  ses fondements  les plus essentials ! Le cas nous paraît d’autant plus grave qu’il pourrait traduire, avec un indéniable brio, les pensées  secrètes de beaucoup d’autres qui se taisent. Nous avons affaire à une personnalité scientifique anglo-saxonne de Ires haut rang qui n’a d’abord de cesse que de montrer combien la science actuelle bouscule noire “bon sens”. Puis, la rencontre de toute cohérence, il se base sur son propre “bon sens” pour refuser à Dieu d’intervenir dans l’histoire. On se demande alors comment on peut encore se dire chrétien, disciple de Jésus-Christ, le point culminant de l’intervention divine, le réduire l’action de Dieu à la mesure des “convenances humaines, lui dieter ce qui lui est permis!

Tout différents qu’ils soient, les deux cas manifestent une déficience semblable, un trap profond décalage entre culture profane et culture religieuse, même si ces décalages sont de sens opposés. Ils nous indiquent que les tâches d’harmonisation, qui incombent au MIIC, sont toujours à poursuivre.

L’essentiel de la foi est certes relation : relation à Dieu et relation entre les hommes. Mais cela n’implique-t-il pas aussi, pour Pax Romana, de s’efforcer de relier les pensées des hommes ?

References

  1. Discours du Pape Jean-Paul II prononce le 9 lmai 1983 à l’occasion du 350e anniversaire de la publication des Dialogues sur les systèmes du monde, de Galilée.
  2. “It is implicit in American culture that science provides the only valid way to know”. Lu ans un Bulletin de l’ITEST (Inst. for Theological Encounter with Science and Technology), St Louis, USA
  3. J. LADRIERE, Réflexions sur le Développement Intégré dans le volume Le Developpement integre, Groupe de Syntheses de Louvain, a paraitre en 1987 aux editions CIACO Louvain-la-Neuve. Belgique.
  4. Pour plus de développements sur le problème du signe et de l’adhésion de foi, nous nous permettons de renvoyer à notre article La Spiritualité d’un scientifique, Convergence, No. I, 1985
  5. Joseph MALEGUE, Pronombres (reference perdue)
  6. L. CASSIERS, L’image de l’homme au travers de la psychanalyse, dans Ethique, Science et lo chrétienne, (Acts de la Conférence des Fédérations Européennes du MIIC, Rome 1982) Presses de Louvain-la-Neuve (Belgique), 1985. p. 159.
  7. J.C. ECCLES, Le Mystere Humain, ed. P. Mardaga, Bruxelles, 1981.
  8. L. de BROGLIE, La Physique nouvelle et les Quanta, Flammanon. Paris, 1937, p. 242.

*       *       *