Comment voyez-vous la situation de l’Eglise ?

L’Église est fatiguée dans l’Europe de l’abondance et en Amérique. Notre culture a vieilli, nos églises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l’appareil bureaucratique de l’Église se développe. Nos rites et nos vêtements sont pompeux. Mais ces choses expriment-elles ce que nous sommes aujourd’hui ? (…) L’abondance pèse. Nous nous trouvons dans la situation du jeune homme riche qui s’éloigne tristement quand Jésus l’appelle à devenir son disciple. Je sais bien qu’il n’est pas facile de tout laisser. Mais nous pourrions au moins chercher des hommes libres et attentifs à leur prochain, comme l’ont été Mgr Romero et les martyrs jésuites du Salvador. Où sont les héros qui pourraient nous inspirer ? En aucun cas nous ne devrions nous en tenir aux limites de l’institution.

Aujourd’hui, qui peut venir en aide à l’Eglise ?

Le père Karl Rahner utilisait volontiers l’image de la braise qui se cache sous la cendre. Dans l’Eglise d’aujourd’hui, je vois tellement de cendres cacher les braises que je suis souvent pris d’un sentiment d’impuissance. Comment peut-on libérer ces braises enfouies sous la cendre afin de raviver la flamme de l’amour ? Où sont les personnes pleines de générosité comme le bon samaritain ? Qui a la foi du centurion romain ? Qui est aussi enthousiaste que Jean-Baptiste ? Qui ose la nouveauté comme Paul ? Qui est fidèle comme Marie de Magdala ? Je conseille au Pape et aux évêques de chercher, pour les postes de direction, douze personnes hors du commun, proches des plus pauvres, entourées de jeunes et qui expérimentent des choses nouvelles. Nous avons besoin d’entrer en contact avec des hommes qui osent agir pour que l’Esprit puisse se diffuser partout.

Quels sont vos conseils pour revigorer l’Eglise ?

J’en vois trois, très puissants. Le premier, c’est la conversion. L’Église doit reconnaitre ses propres erreurs et s’engager sur un chemin radical de changement, à commencer par le Pape et les évêques. Les scandales de pédophilie nous poussent à entreprendre un chemin de conversion. Les demandes sur la sexualité et sur le corps en sont un exemple. Nous devons nous demander si les gens écoutent encore les conseils de l’Église en matière de sexualité. Dans ce domaine, l’Église est-elle encore une autorité de référence ou juste une caricature pour les médias ? Le deuxième, c’est la parole de Dieu. Le concile Vatican II a rendu la Bible aux catholiques. Seul celui qui reçoit cette parole dans son cœur peut aider au renouvellement de l’Église et répondre avec justesse aux demandes personnelles. La Parole de Dieu est simple et cherche pour compagnon un cœur qui écoute (…). Ni le clergé, ni le Droit canonique ne peuvent remplacer l’intériorité de l’homme. Toutes les règles extérieures, les lois, les dogmes ne nous sont donnés que pour clarifier la voix intérieure et pour aider au discernement des esprits. Enfin les sacrements sont le troisième moyen de guérison. Ils ne sont pas des instruments de discipline mais un secours pour les hommes dans les moments de cheminement et dans les faiblesses de la vie. Portons-nous les sacrements aux hommes qui ont besoin d’une nouvelle force ? Je pense à tous les divorcés et aux couples remariés, aux familles recomposées. Ils ont besoin d’une protection spéciale. L’Église soutient l’indissolubilité du mariage : c’est une grâce lorsqu’un mariage et une famille y parviennent (…). L’attention que nous portons aux familles recomposées déterminera la proximité de l’Église avec la génération de leurs enfants. Prenons une femme abandonnée par son mari qui trouve un nouveau compagnon qui s’occupe d’elle et de ses trois enfants. Ce second amour réussit. Si cette famille est discriminée, on se coupe non seulement de la mère mais aussi de ses enfants. Si les parents se sentent hors de l’Église ou s’ils ne se sentent pas soutenus par elle, l’Église perdra les générations futures. Avant la communion nous prions ainsi : « Seigneur, je ne suis pas digne… ». Nous nous savons indignes (…). L’amour est une grâce. L’amour est un don. La question de l’accès à la communion des divorcés devrait être posée. Comment l’Eglise peut-elle venir en aide avec la force des sacrements à ceux qui vivent des situations familiales complexes ?

Personnellement, que faites-vous ?

L’Église a 200 ans de retard. Mais pourquoi ne se secoue-t-elle pas ? Avons-nous peur ? Peur au lieu de courage ? La foi, la confiance, le courage sont les fondements de l’Église. Je suis vieux, malade et je dépends de l’aide des autres. Les personnes bienveillantes qui m’entourent me font ressentir l’amour. Cet amour est plus fort que le sentiment de découragement que je perçois de temps en temps dans les combats de l’Église en Europe. Seul l’amour peut vaincre la fatigue. Dieu est Amour. J’ai encore une demande à te faire : et toi, que peux-tu faire pour l’Église ?

Traduction réalisée par Samuel Bleynie, d’après le texte paru samedi 1er septembre dans El Corriere della Serra.