Dans « le Nouveau Monde », les hommes ont renoncé à transmettre la tradition. Disparition d’une référence morale unique. Chacun est invité à inventer ses propres valeurs, en évitant de faire la leçon aux autres. A la fin des années 60, chercher à imposer des normes, des habitudes d’ordre, de prudence, de reconnaissance, etc., peut même passer pour une forme de violence. Dès lors, les adultes n’exercent plus leur autorité, de crainte d’abuser d’un pouvoir arbitraire. Le décalage entre l’adulte et l’enfant s’estompe. Les enfants oscillent entre le bébé tyrannique et l’adulte prématuré. Bien des adultes oscillent entre crispation autoritariste et laxisme démagogique. Il importe donc d’en revenir à quelques éléments fondamentaux en matière éducative :

– L’enfant est toujours d’abord un enfant-roi. Pour lui, le monde n’existe qu’à travers sa propre subjectivité. L’extériorité n’existe pas. (Cf. les travaux de PIAGET sur l’égocentrisme intellectuel). L’enfant doit faire l’apprentissage de l’extériorité et de l’altérité. L’autre n’existe d’abord que pour satisfaire le désir de l’enfant. Celui-ci croit que son désir « fait loi » et ne supporte pas qu’il puisse être entravé. Il doit découvrir progressivement que le monde lui résiste et ne dépend pas entièrement de lui. Il doit entendre la résistance des êtres et des choses.

– L’éducation doit donc être une éducation au sursis, un apprentissage de la renonciation à la toute-puissance voire à la violence, la fondation d’un ordre où puisse apparaître une fraternité. Cf. Marcel MAUSS, dans « Essai sur le don » : « Pour commencer, il fallut d’abord poser les lances. C’est ainsi que le clan, la tribu, les peuples ont su – et c’est ainsi que demain, dans notre monde dit civilisé, les classes, les nations, et aussi les individus doivent savoir – s’opposer sans se massacrer et s’affronter sans se sacrifier les uns aux autres. » Apprendre à entrer en relation avec l’autre est fondamental. Le reconnaître à la fois semblable et différent, puisque la conscience d’autrui m’échappe radicalement.

– L’éducation doit faire naître à la Loi. La Loi, les règles, parce qu’il n’y a pas de groupe humain sans loi. Parce que l’interdit autorise. Parce que l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté (Rousseau, Du Contrat Social). Il n’est pas facile de comprendre qu’on puisse avoir tort contre soi-même et ses propres intérêts.

– L’éducation doit faire naître à la culture: un ensemble de représentations symboliques du monde telles que les évoque Claude Levi-Strauss (cité par Marcel MAUSS dans « Sociologie et Anthropologie ») :« Toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres. »

Il s’agit là d’un ensemble de « produits de la pensée », d’œuvres, qui constituent notre héritage culturel et que l’école a à transmettre.  Donc, selon le mot d’Hannah ARENDT, l’école est toujours  « conservatrice ». La culture donne les moyens de se distancier du monde, de penser le monde à travers des systèmes symboliques d’intelligibilité, de ne pas être englué dans le réel, réduit à consommer.

– L’éducation, enfin, doit faire naître au politique : apprendre la différence entre sphère privée et sphère publique et construire les notions fondatrices de la citoyenneté : civilité, civisme, citoyenneté. Liberté, égalité, fraternité. Laïcité.

– Il faut retrouver ce qui est fondamental dans l’éducation : Lier : l’enfant doit être intégré dans la société qui l’accueille, en maîtriser coutumes et langages, Délier : pour que cette intégration ne soit pas assujettissement, l’enfant doit pouvoir découvrir d’autres univers, prendre ses distances, accéder à la pensée critique,  Relier : l’éducation doit permettre à chaque sujet de se relier aux autres dans la reconnaissance de leur commune humanité.

 Première partie Eléments de vocabulaire

1) La civilité concerne les règles élémentaires de la vie en société. Le terme équivaut à sociabilité.

2) Le civisme se situe entre civilité et citoyenneté. C’est se savoir partie prenante d’une collectivité qui n’est pas seulement une addition d’individualités, où les rapports de force ont fait place à des rapports réglés par le droit. C’est aussi s’inscrire dans une continuité et reconnaître qu’on bénéficie de l’héritage des générations précédentes. D’où un devoir de réciprocité envers les générations suivantes. Cet aspect est en rapport avec la civilité. Mais le civisme a à voir aussi avec la citoyenneté, au sens où il suppose qu’on s’intéresse à la chose publique et qu’on participe aux décisions concernant les affaires communes. Il s’impose en démocratie, où tout citoyen est acteur. Le civisme est un comportement – le respect des règles au quotidien. (cf. René REMOND, « Guide républicain »)

3) Le citoyen est un concept juridico-politique. Le citoyen n’est pas un individu concret, c’est un sujet de droit. Il dispose à ce titre de droits civils (il jouit des libertés individuelles : liberté de conscience et d’expression, de culte, liberté d’aller et venir, d’être traité par la justice selon une loi égale pour tous …) et politiques : participer à la vie politique, être candidat à des fonctions… En revanche il a des devoirs réciproques. Il peut réclamer légitimement de l’Etat le respect de ses droits parce que l’Etat réclame légitimement du citoyen le respect de certains devoirs. En outre, dans notre régime politique, le citoyen est aussi détenteur d’une part de la souveraineté politique et donc à la source de la légitimité politique. La citoyenneté organise une société dont tous les membres sont juridiquement et politiquement égaux, quelles que soient leurs origines et leurs caractéristiques. Elle repose sur l’idée de l’égale dignité de tous les êtres humains. (cf. Dominique SCHNAPPER, « Guide républicain »)

Si donc le civisme est le fait de vivre sa citoyenneté, il ne suffit pas de la fonder simplement sur l’enseignement des droits et des devoirs. A l’école, les leçons sur les valeurs de la République, ne suffisent pas à les faire vivre : il faut tendre vers l’apprentissage par l’expérience, faire autant que possible l’expérience de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.

1) La liberté, qui est la notion essentielle autour de laquelle s’organisent les Droits de l’Homme, peut être abordée à partir de ses manifestations concrètes.

2) L’égalité, qui suppose que l’on comprenne la différence entre le fait et le droit. Par exemple, les différences de fait dans la classe (filles-garçons, grand-petit, fort-faible, habillé à la mode ou non…) ne saurait empêcher l’égalité de droits.

3) La fraternité, troisième terme de la devise de la République, dont on parle si peu par rapport aux deux autres. Peut-être du fait qu’elle repose d’abord sur des croyances et sur la religion en l’occurrence. Nous sommes frères parce que fils de Dieu, avant que d’être aujourd’hui frères parce que fils de la Nation.

Notons que la Constitution, elle, parle de solidarité. On peut dire en première approche que la solidarité s’exerce entre des personnes ayant des intérêts communs : les membres d’une famille, d’un parti politique, les citoyens d’une nation (cf. par exemple l’impôt sécheresse en est une illustration possible). La fraternité est d’abord un sentiment. Elle se manifeste le plus souvent dans des situations difficiles (la fraternité des tranchées en 1914-18) mais aussi dans des moments de joie : grandes commémorations, victoire du Mondial en 1998… Celui que je ne connais pas m’apparaît alors comme proche et participant à une œuvre commune.

Ces deux notions souvent confondues peuvent être pensées dans un rapport de cause à conséquence. La fraternité apparaît ainsi comme le principe, la solidarité comme l’action qui en découle. L’obstacle majeur auquel se heurte l’enseignant, lorsqu’il met les élèves en situation de construire ces notions, est l’usage familier qui en est fait : la liberté est sans limite, l’égalité se réduit à l’égalité mathématique, la solidarité et la fraternité sont donc confondues, la loi est contraignante. Cet usage est souvent celui de l’entourage de l’élève, d’où l’intérêt pour celui-ci de non seulement construire les notions (connaissances) mais aussi de les utiliser dans la vie de la classe (expérience), pour que le sens second se substitue à la représentation première. Nous sommes là dans le domaine qui est celui de l’instruction ou de l’éducation civique et morale.

Oser à nouveau enseigner la morale à l’école (cf. Hervé CAUDRON, éd. Hachette Education)

1)       Retour ou déclin de la morale ?

On assiste aujourd’hui à une réhabilitation de certaines valeurs, comme l’effort, la discipline, la responsabilité. Au moins dans les discours, la morale est omniprésente alors qu’à la fin des années 60, on prônait le refus des contraintes, des traditions, des hiérarchies. La morale paraissait condamnée. Il lui était reproché de légitimer un double renoncement : au plaisir de vivre sans contrainte et à la nécessité de lutter contre les injustices sociales, en justifiant la résignation à l’ordre établi.

Toutefois la nouvelle référence à la morale dans les discours ne va pas forcément jusqu’à une restauration des normes en vigueur dans les années 1960. L’évolution de notre société est profondément marquée par un fort courant individualiste qui consiste à réclamer l’extension des droits de l’individu. L’individu, sans être isolé (il appartient à une famille, exerce une activité professionnelle…) se sent de moins en moins relié à une communauté lui donnant des raisons d’adhérer aux règles qu’elle édicte. Cela tient à la nature de notre société, à la fois démocratique et libérale. Elle réclame les mêmes droits pour tous. Et elle met en avant le droit pour chacun de décider de sa vie privée plutôt que de participer à l’élaboration d’un bien commun.

Cf. Tocqueville étudiant le fonctionnement de la démocratie en Amérique au XIXème siècle et montrant combien le goût des libertés individuelles menace la vie publique. Un premier courant individualiste au XVIIIème siècle considère que ce n’est plus Dieu, ni les traditions, qui doivent décider de ce qui est bien ou mal mais l’homme lui-même. La morale s’adresse à la raison qui est en chacun de nous comme une « lumière » suffisante pour nous éclairer. La deuxième révolution individualiste au milieu du XXème siècle voit s’affaiblir la notion de devoir, le caractère absolu de l’obligation morale, au profit des normes du bien-être individuel. D’où le culte du présent, de la jeunesse, de la consommation. Et la tolérance, comprise comme laisser-faire et non comme intérêt pour autrui dans sa différence. Mais l’individualisme ne met pas fin à la morale (cf. par exemple l’importance des associations caritatives). Simplement, notre relation aux valeurs morales a changé.

2) Le refus d’une morale du « sacrifice »

de l’abnégation, de l’oubli de soi, attitudes qui, poussées à l’extrême, peuvent être suspectes sur le plan moral et moins vertueuses qu’il y paraît. Cf. Bergson sur les deux sources de la morale : morale « close », système de règles assurant la cohésion du groupe / morale « ouverte », qui envisage parfois de contester les normes en vigueur. La « vraie morale », en ce sens, se moque de la morale (Pascal).

3) Quelles conséquences pour l’enseignement de la morale ?

– articuler autonomie et socialisation.

– éviter l’attitude moralisatrice. Cf. la présentation fréquente des grandes valeurs sous forme d’interdits (ne pas tricher, trahir, etc.). Cette formulation suspecte surtout la bassesse derrière l’apparence du désintéressement.

– refuser de régenter les consciences, sans laisser la responsabilité de décider de ce qui est bien ou mal en fonction de ses croyances. L’école de la République ne peut envisager qu’un enseignement laïque de la morale.

– relier la morale et le droit, sans les confondre.

Le droit règle le fonctionnement de la société (droit administratif, financier, commercial…) en imposant le respect de ses décisions. Sinon il y a sanction. Le droit, donc, ne va pas sans la force, force publique c’est-à-dire au service de tous. La morale prolonge le droit. Tout ce qui est légal, conforme au droit établi, n’est pas pour autant légitime. Le point de vue moral scrute les cœurs au lieu de se contenter des actes. Mais dans ce domaine il n’y a pas d’autre sanction que notre conscience ou le regard des autres. Ajoutons qu’il importe de mesurer les possibilités de développement du jugement moral et citoyen chez l’enfant et l’adolescent, avant d’envisager lucidement d’éduquer à la fraternité et à la solidarité.

 La théorie de Lawrence KOHLBERG sur le développement du jugement moral

Le passage du jugement à l’acte n’est en effet pas automatique. Il convient donc de bien les différencier, même si juger est une activité. Mais une telle théorie est déjà intéressante sur le plan éducatif dans la mesure où des recherches ont pu montrer une « bonne corrélation » entre les deux. Pour mettre au jour les étapes du développement du jugement moral, Kohlberg s’est servi de dilemmes moraux : situations hypothétiques dont l’issue pose un problème moral de choix entre deux possibilités contradictoires.

Cf. le dilemme dit de Heinz : La femme de Heinz est très malade. Elle va mourir si elle ne prend pas un médicament X. Celui-ci est hors de prix et Heinz ne peut pas le payer. Il va néanmoins chez le pharmacien et le lui demande, fût-ce à crédit. Le pharmacien refuse. Que doit faire Heinz ? Laisser mourir sa femme ou voler le médicament ? Le dilemme moral distingue devoir et pouvoir. Il n’est pas demandé à l’enfant ce qu’il ferait mais ce qu’il devrait faire en telles circonstances. L’enseignant n’a pas le pouvoir d’agir sur le comportement de l’élève (par exemple, un enfant maltraité devrait idéalement porter plainte mais on sait qu’en réalité, il ne le fera pas parce qu’il craint d’être séparé du parent maltraitant). En fonction du contenu du raisonnement moral, Kohlberg établit trois niveaux et six stades de développement :

I. Niveau précpnventionnel

– 1ère étape (1/5 ans) : le sujet reste enfermé dans son égocentrisme. L’action qu’il envisage est motivée par le souci d’éviter la punition. Laisser mourir sinon les gendarmes vont le mettre en prison / voler sinon Dieu le punirait de laisser mourir sa femme.

– 2ème étape (5/10 ans) : relativisme utilitaire lié encore à l’égocentrisme. L’acte bon est celui qui profite. Il est motivé par le désir de récompense. Laisser mourir. Il pourra se trouver une autre femme / voler. Il veut que sa femme puisse encore lui faire à manger.

II. Niveau conventionnel

– 3ème étape (10/13 ans) : le bon garçon, la gentille fille. Le sujet cherche l’approbation de l’entourage. Ses collègues ne l’accepteraient pas en voleur / ils n’accepteraient pas son manque d’égard pour sa femme.

– 4ème étape (15/20 ans) : loi et ordre. Ce qui importe, c’est la conformité aux règles sociales. Le sujet « fait son devoir » en fonction de l’ordre établi, c’est une faute de le transgresser. Le vol est interdit par la loi / la non-assistance à personne en danger est punie par la loi.

III. Niveau postconventionnel

La valeur morale réside dans la conformité à des règles définies abstraitement et de façon autonome, sans tenir compte des personnes ni des milieux sociaux.

– 5ème étape (20/25 ans) : on s’appuie sur le contrat social en vigueur dans la société et qui vise le bien-être du plus grand nombre, même s’il entre en conflit avec les règles d’un groupe. Le droit de propriété est à la base des législations démocratiques / la santé est nécessaire au bien-être.

– 6ème étape (30/35 ans) : le sujet atteint un degré de conscience fondé sur des principes moraux universels, valables pour toute l’humanité, de justice, d’égalité, de réciprocité, de respect de la personne et de sa vie. Il est capable de se décentrer pour se placer du point de vue de l’autre. Le droit de propriété est un principe universel / le droit à la vie est un principe universel.

La séquence de développement est invariable, même si des facteurs d’ordre socio-culturel peuvent accélérer, stopper ou infléchir le mouvement. La majorité de de la population adulte agit en général d’après les motifs du niveau conventionnel  (3ème et 4ème étapes). Un faible pourcentage parvient au stade post-conventionnel : 20 à 25%, dont seulement 5 à 10% à la 6ème étape.

L’échange des justifications morales peut faire progresser un individu d’une étape mais pas de deux. L’impact sur le raisonnement moral de discussions régulières sur des dilemmes ou de débat à visée philosophique est notable. L’observation corrobore celle de Vygotski et s’explique pour ce dernier par la « zone proximale de développement ». Autre conséquence pédagogique : invoquer la Déclaration des Droits de l’Homme contre le racisme (stades 5 et 6) est donc peu opérant chez un jeune enfant. Il vaut mieux, avec lui, faire valoir l’empathie (dimension affective), le modèle et la conformité à l’attente de l’entourage (stade 3) ou à la loi (stade 4). La période 11-16 ans est une période de développement moral accéléré.

Conclusion : on peut s’attendre à trouver un obstacle dans la psychologie de l’enfant, du fait de son attitude hétéronome et égocentrique, qui rend le sentiment de fraternité et la solidarité difficiles à construire.

Eduquer à la fraternité et à la solidarité à l’école

Les deux notions, nous l’avons dit, sont souvent confondues. La solidarité peut se comprendre de deux façons :

– la solidarité comme dépendance réciproque, quand dans un ensemble les parties sont liées. Cette solidarité de fait peut être de type « mécanique » ou de type « organique », lorsqu’elle est fondée sur une différenciation et une complémentarité des fonctions (ainsi chez l’être vivant et, par analogie, dans l’organisation de la vie sociale, avec sa division du travail). Que nous le voulions ou non, nous ne pouvons vivre qu’en collectivité. Les autres sont encore en nous quand nous croyons nous en détacher. Robinson sur son île reste matériellement et moralement attaché à la civilisation qui a fait de lui un être humain. Michel Tournier, « Vendredi ou les limbes du Pacifique ».

– la solidarité comme valeur morale, désigne une obligation d’aide et fait appel à notre capacité d’agir de manière désintéressée, sans le moindre calcul. Il s’agit ou de coopérer en prenant conscience d’avoir un intérêt commun ou de porter secours à ceux qui en ont besoin (par exemple les personnes handicapées), sans idée de réciprocité ni d’intérêt commun. Dans les deux cas il y a un point commun : le refus de l’isolement égoïste dans le chacun pour soi. Nous ne pouvons pas, moralement, nous désintéresser des autres quand ils ont besoin de nous.

– la solidarité comme principe de la vie démocratique Cf. la devise républicaine et ses trois principes, qui font corps. Pas de réelle liberté sans égalité ni fraternité. Sans égalité des droits et des devoirs et sans volonté d’entraide, la liberté s’apparente à la facilité pour les « forts » d’opprimer les « faibles ». Si nous sommes privés de liberté et isolés, chacun ne vivant que pour soi, l’égalité condamne tout le monde à la même misère matérielle et morale.

1) La fraternité demande la liberté et l’égalité, qui reconnaissent à l’autre la même dignité qu’à moi-même. Elle  se prolonge en solidarité en acte, au travers de droits sociaux : chaque membre de la société doit pouvoir satisfaire ses besoins essentiels – la nourriture, le logement, la santé, l’éducation, la culture. Cf. la pyramide de MASLOW : à sa base, les besoins physiologiques puis les besoins de sécurité.

Si l’on ne peut pas se procurer soi-même ces biens, l’Etat intervient. Il procure gratuitement l’éducation et la santé (dans ce domaine on cotise selon ses moyens, on reçoit selon ses besoins) ou il accorde des allocations. Il s’agit là d’une redistribution de l’argent que l’Etat trouve dans l’impôt.

Il serait bon de rendre lisibles ces mécanismes de la solidarité en œuvre dans notre société. Avoir conscience que 57%  de la richesse nationale sont prélevés et redistribués. Mais ce transfert est devenu illisible, au point que les plus riches considèrent qu’ils payent et que « ça ne sert à rien ! » et que les plus pauvres disent qu’ « on ne fait rien pour moi ». Il y a une destruction du sentiment de solidarité contre laquelle l’instruction civique devrait lutter.

2) Faire vivre la fraternité au sein de l’école. Donner l’occasion aux élèves de partager des activités fraternelles : le chant, la danse, le football, etc…, ce qu’on appelle périscolaire avec un peu de mépris et qui donne la possibilité de faire partie d’une bande, de se devoir quelque chose. Cf. l’importance de cela en Angleterre ou aux Etats-Unis.

Sur le terrain pédagogique, développer le sens de la réciprocité et de l’égalité à la faveur d’un projet commun, alors que souvent en France la collaboration entre élèves fait craindre la fraude. Réfléchir aux catastrophes auxquelles l’absence de fraternité, la violence, ont pu conduire dans l’histoire. De manière générale, passer par le savoir parce que la culture humanise.

Passer par des exemples qui incarnent la fraternité. Des exemples historiques, comme les Justes pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais aussi enseigner par l’exemple. Avoir une éthique professionnelle qui bénéficie aux élèves : lutter contre l’amplification des inégalités scolaires, ne pas faire de l’évaluation un instrument de pouvoir… Lier pédagogie de la laïcité et fraternité. L’école est un terrain neutre mais ceux qui la fréquentent ont des croyances. Il y faut donc des règles universelles et des capacités de négociation (cf. la question des mères voilées accompagnant des sorties scolaires). Coopérer sans arrière-pensée avec les parents, qui souvent ne vont à l’école que pour entendre critiquer leur enfant, voire leur mode de vie.