Luis Alberto Gomes de Sousa 

Centro Joao XXIII

Quelles réflexions pourraient être faites à partir de l’Amérique Latine a l’occasion des quarante ans du Mouvement International des intellectuels Catholiques — Pax Romana — MIC? Pendant  la Deuxième Guerre Mondiale, Rudi Salat, un dirigeant allemand du mouvement de udiants de Pax Romana (le MIEC), lors d’un séjour forcé en Amérique Latine, a lancé les bases du travail dans la région. Ensuite, après la guerre, au moment où naissait le MIIC, quelques mouvements d’étudiants ont commencé un  mouvement qui serait à l’origine du mouvement frère-rival, la JEC Internationale. En s’opposant, entrant en compétition et ensuite en travaillant ensemble  dans le Secrétariat latino-américain de Montevideo et de Lima dans d’innombrables publications, MIEC-JECI ont enrichi la réflexion politique et ecclésiale dans la région. N’est-ce pas a travers un texte de son Centre de Documentation que Gustavo Gutierrez a publié les premières notes d’un programme pour ce qu’a l’Époque il appelait une théologie de la liberation? Ne trouve-t-on pas dans les archives du Secretariat beaucoup d’éléments pour la reconstitution historique des luttes, des espoirs, des réussites et des défaites de projets politiques latino-américains des années 60 et 70? Et c’est dans les pages de la revue Vispera, liée au Secrétariat de Montevideo qu’a commencé un débat pluralistes, ecclésial et socio-politique qui petit a petit a abouti à des positions presque antagonistes, les uns s’orientant dans la direction de ce qu’on connaît actuellement comme la pastorale populaire,  les autres s’engageant dans l’affirmation de l’identité d’une culture chrétienne…  Débat très actuel, lié à différentes images de l’Eglise et de ses rapports avec le monde. Des générations de jeunes ont appris à connaître la réalité sociale ont approfondi leur Foi — d’autres ont vécu une douloureuse  crise de convictions — et on peut retrouver ces jeunes dans les situations les plus inattendues et les plus diverses.

Des années d’action et d’engagement — marquées par le sang de quelque-uns, les tortures  ,  les prisons, les fidélités  et les renonciations, autant dire que l’histoire est contradictoire et non linéaire. Mais tout cela, dans sa complexité, n’indique pas mains la fécondité d’une réflexion et d’une pratique. Et ces mouvements de jeunes sont à l’origine des professionnels d’aujourd’hui, envers qui le MIIC a pour obligation d’offrir un espace de rencontre, de réflexion, de critique et d’autocritique, l’occasion de faire l’invention des quelques années passées et d’ouvrir les voies pour les quelques années qui nous séparent de la fin du millénaire. En d’autres mots nous avons vécu les années 60 comme une époque prometteuse de programmes de transformation radicale; les années 70 ont été caractérisées  par l’influence de la crise internationale et marquées par d’innombrables moments se répression et de perplexité; enfin, nous nous acheminons vers la fin des années 80 et nous avancions un peu en tâtonnant, les questions sont plus nombreuses que les affirmations tranquilles d’il y a vingt ans.

II se peut que nous soyons aujourd’hui plus ouverts à la créativité, à la nouveauté, à l’alternatif, pourvu qu’avec humilité, nous nous libérons du dogmatisme et des projets préétablis et que nous nous mettions à l’écoute des mouvements sociaux souterrains, des pratiques fécondes qui naissent ici et là, apparemment hétérogènes et sans unité. Mais n’est-ce-pas ainsi que l’histoire se développe, en mouvements erratiques, cherchant les chemins qui se construisent, se détruisent et se reconstruisent?

Sans avoir la prétention de trailer très rigoureusement un thème si vaste, j’aimerais par ces notes apporter quelques réflexions sur le développement de la société et de l’Eglise en Amérique Latine jusqu’à nos jours et poser quelques questions — hypothèses, et non affirmations — quant aux potentialités et possibilités qui s’ouvrent à nous, peut-être plus fécondes que ce que l’on imagine. D’ailleurs, un programme de travail de Pax Romana dans la région devrait peut-être commencer par proposer une réflexion sur l’histoire vécue, les espoirs déçus et ceux qui se sont réalisés, ainsi que mettre en évidence les expériences actuelles chargées de force historique et de futur. L’intention dans ce texte est moindre puisque pour une étude de ce type, ii faudrait un travail collectif et de longue haleine. Ce texte pose les bases d’un débat futur. Une polémique et des positions divergentes seraient les bienvenues, car rien n’est plus pauvre que l’uniformité d’affirmations qui sont devenues des lieux communs et qui cachent leur fragilité dans la rigidité de formules toutes faites.

Quelles ont été les tendances de l’Amérique Latine, ou en sommes-nous, quelles voies semblent s’ouvrir devant nous?

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Je voudrais d’abord rappeler un point évident : réfléchir au niveau de l’Amérique Latine nous met devant le risque de généralisations non-fondées, car les différences nationales sont énormes. Pensons, par exemple, a deux exemples de pays : premièrement, l’Argentine et la Bolivie, deuxièmement, le Mexique et le Guatemala. lls sont limitrophes mais quelle diversité dans l’histoire, l’économie, la politique.

Et avec le temps, les positions politiques et idéologiques changent. On peut juste se rappeler le Chili et le Nicaragua en 1970, le premier commençant l’expérience d’Unité Populaire et le deuxième dominé par le somoziste. Dix années plus tard, les tendances s’inversent : d’un côté nous avons Pinochet et de l’autre le sandinisme.

Les dictatures militaires ont alterné avec les ouvertures démocratiques, les évolutions en Argentine, au Brésil et en Uruguay sont éloquentes et apportent aujourd’hui des espoirs, bien qu’on ne puisse pas parler d’irréversibilité historique, c’est pourquoi nos affirmations doivent être prudentes. D’ailleurs, celui qui, comme moi, aurait vécu au Chili de 1966 à 1974 serait irresponsable s’il affirmait que l’histoire ne retourne pas en arrière… Mais il serait conservateur et fataliste s’il n’osait pas esperer que “le peuple retournera aux grandes avenues”, comme a annoncé Salvador Allende au moment de son départ, peu avant sa mort.

Les pays colonisés par l’Espagne et le Portugal (nous laissons de côté dans ce texte les pays de langue anglaise, française et hollandaise), qui ont apporté ici la culture ibérique et, ne  l’oublions pas, le catholicisme, sont peu à peu devenus économiquement dépendants de l’Angleterre. Cela s’est renforcé et s’est maintenu avec l’indépendance politique, au début du XIXѐme siècle, quand l’empire britannique, de 1830 à 1880, a atteint son point culminant. Culturellement cependant, l’influence sur les arts et les coutumes des classes dirigeantes serait plus fortement française. Militaires et élites politiques, au Brésil et au Mexique, ont ete influences après le positivisme d’Auguste Comte qui est à l’origine des mots de noire drapeau, “ordre et  progrès” (manque cependant le troisième, plus conforme à notre tropicalisme, qui devrait être “amour”).

Mais le peuple, dans ses expressions les plus fortes, a subi l’influence de la culture indigène (Pérou, Bolivie, Mexique, Guatemala…), des valeurs ibériques, de la sensibilité africaine (Brésil, Cuba, littoral de la colombie) et ensuite des migrations allemandes et italiennes (Argentine, Brésil, Uruguay). A cette époque, coexistaient une culture, une économie et une histoire officielle des secteurs dirigeants et une culture populaire de résistance, créole/métisse. Quant a la religion, le catholicisme s’est imposé massivement. Pratiquement toute la population est baptisée, mais les cultes indigènes, et principalement les africains (candomblé, vaudou… ), non seulement persistent mais encore reviennent en force en ce siècle.

Un jour il faudra écrire l’histoire complexe de ces mondes sociaux et culturels qui coexistent, qui s’interpénètrent et qui en même temps se rejettent. Un poète et penseur mexicain lucide et pénétrant, Octavio Paz, a retracé mieux que quiconque ces contradictions et tensions dans son livre El laberinto de la soledad, portant sur un peuple qui est le fils du conquérant espagnol Cortés et de l’indienne emprisonnée Malinche. Ambiguïté permanente qui défiera les projets politiques, les programmes économiques et les plans pastoraux dans la région. De nombreuses années en arrière, un autre mexicain a parlé, dans cette région, de “race cosmique” et nous serions assez d’accord avec lui puisqu’on constate, notamment au Brésil, l’affluence de slaves, de juifs de l’Europe orientale, d’arabes et de milliers de japonais.

C’est avec ce peuple hétérogène qu’est apparu, autour des années 30 (les dates ne sont pas toujours précises et varient de pays en pays), le processus d’industrialisation, ainsi qu’une urbanisation rapide qui va plus vite que le propre rythme industrial (Mexico, Sao Paulo et Buenos Aires sont aujourd’hui parmi les grandes mégalopoles mondiales de cette fin de siècle). Les anciens grands propriétaires ruraux qui ont été la classe dirigeante (politique) et dominante (economie), cèdent petit à petit le pas à une bourgeoisie en expansion, bien qu’ils restent ses partenaires avec une force variable selon les pays). Cette industrialisation ne sera plus faite a l’ombre de la “city” de Londres, car le nouveau pouvoir dominant proviendra des Etats-Unis. Une bourgeoisie dépendante et associée, diront les sociologues latino-américains. Néanmoins, cette bourgeoisie n’exerce pas son hégémonie (“direction intellectuelle et morale de la société”, d’après la définition connue) d’une manière tranquille. Déjà, au moment où elle émerge, elle se heurte à des secteurs populaires organisés, avec des degrés significatifs de conscience et de cohésion.

II suffit de penser aux mouvements ouvriers au Brésil, en Argentine et au Chili dans les années 20 et 30, aux luttes des mineurs boliviens, aux révoltes des paysans a la suite de la révolution  mexicaine et même, un peu plus tard, à l’organisation de mouvements ruraux dans un pays peu cité comme le Honduras. Le secteur social naissant de la bourgeoisie n’a pas le temps d’exercer avec stabilité sa domination, à cause de sa fragilité externe, et principalement, à cause des mouvements sociaux qui existent à l’intérieur des pays. D’où la nécessité d’alliances sociales et politiques.

D’un côté, l’expérience de pactes populistes, dans lesquels les nouvelles bourgeoisies cherchaient l’appui des classes moyennes, des grands propriétaires ruraux et essayaient d’attirer les secteurs des classes ouvrières urbaines (Cardenas au Mexique, Peron en Argentine, Vargas au Brésil). Mais en des moments plus critiques, la coercition directe devient une nécessité; elle est exercée par les militaires, avec l’appui de technocrates loyaux. Voir les innombrables cas de dictatures qui sont une constante au Paraguay ou en El Salvador; qui surgissent de temps en temps, avec une fréquence variable en Argentine et en Bolivie; qui durent pendant de nombreuses années au Brésil; et qui émergent finalement la ou on ne s’y attendait pas il y a une vingtaine d’années, au Chili et en Uruguay. Pactes populistes et pactes autoritaires, ouverture et répression ne sent pas seulement des situations politiques antagonistes, mais la plupart du temps, ce sont des fa ons differentes, pour les secteurs dominants, de garder leur pouvoir. Une analyse exclusivement formelle des systèmes politiques ne dévoile pas la continuité qui se cache derrière les modèles Juridiques opposés. II suffit de voir comment au Brésil une classe politique et une technocratie étatique passent tranquillement d’un gouvernement militaire a une période de transition démocratique (et quelques-uns seraient prêts à justifier une autre penode autoritaire si besoin était).

De toute manière c’est dans le contexte de différents régimes politiques que s’est constitué le processus de ce qui a été appelé le développement latino-américain, créant en même temps son idéologie justificative, le “développement”. Fort de leur croyance optimiste dans la croissance économique, planificateurs et entrepreneurs se sont lancés dans le processus de substitution des importations. c’est-à-dire la production de produits manufacturés dans leurs propres pays afin de répondre aux besoins de consommation de la population. Ce processus avail débuts avec la récession provoquée par la crise internationale du 1929 et a été relancé lors du “boom” de l’après-guerre. A la fin des années cinquante ou au début des années soixante, le modèle économique montrait cependant sa vulnérabilité. II y a eu une croissance significative du produit intérieur brut (PIB) dans les pays les plus dynamiques, bien que la distribution de la rente se soit dégradée et les profits se soient concentrées dans les mains d’une petite partie des classes économiquement dominantes et le plus fréquemment liées au capital international. Ce dernier s’est imposé dans ces pays, parfois subrepticement, par la vente de “know how” et de plus en plus sous la forme de prêts des banques publiques et privées.

La dette extérieure s’est accumulée de manière irresponsable et aujourd’hui, une bonne partie des exportations devrait être absorbée rien que pour payer les intérêts de la dette (impossible de l’amortir). Le Brésil, le Mexique et !’Argentine sont parmi les champions du monde de la dette. Même si le Venezuela, ne sachant pas bien profiter de son pétrole, est entré dans le même cycle débiteur. Aujourd’hui, avec les réserves monétaires qui disparaissent, les pays ne peuvent même pas payer les intérêts. Et ils doivent passer par des discussions vigoureuses pour pouvoir renégocier le calendrier de paiements de leur dettes. Pourquoi n’abandonnent-ils pas ce paiement ou ne paient-ils que partiellement ? En fait, l’un après l’autre, le Pérou et le Brésil viennent de suspendre le paiement de leurs dettes, non pas pour des raisons nationalistes mais tout simplement parce qu’ils se trouvent dans l’impossibilité de le faire.

Les pays de la région s’unissent-ils en vue d’une stratégie commune ? Non. Le Mexique fait ses négociations indépendamment de l’Argentine, et cet isolement ne fait que fortifier la position des gouvernements créditeurs et les centaines de banques des Etats-Unis, des pays européens et du Japon, tant les bourgeoisies latino-américaines sont associées et tant les Etats de la région sont  incapables de créer un “club de pays débiteurs”, ce qui serait logique. Ce n’est pas toujours ce qui paraît le plus rationnel et le plus nécessaire qui résiste aux intérêts cachés et a l’avidité des secteurs dominants qui, au nom du profit immédiat, sont peut-être en train de détruire leurs propres possibilités futures d’expansion et de survie. En cette fin des années  quatre-vingts, un  regard sur les économies  latino-américaines qui en 1986 essayaient des plans de redressement (plan Cruzado au Brésil  et plan  Austral en Argentine), amènerait à des conclusions très pessimistes si l’histoire de la région  se réduisait à ses Etats et à leurs économies qui vont vers la faillite…

Mais il y a toute une autre réalité que nous ne pouvons pas négliger et qui dans l’avenir pourra décider de beaucoup de choses. Fréquemment, l’histoire officielle parle de régimes et de modèles économiques, hypnotisée par ce qui se passe au niveau de l’Etat, oubliant l’autre histoire, celle des secteurs populaires, aussi vitale et encore plus importante, si l’on veut porter un regard prospectif sur les futurs secteurs.

En vérité, aussi bien pendant les périodes d’ouverture démocratique que sous les dictatures politiques, les mouvements populaires, urbains et ruraux, avec leurs stratégies différentes et avec une capacité d’organisation variable, grandissent et ouvrent leurs voies. Le mouvement syndical est ancien et puissant en Argentine et au Chili (malgré son apparente discrétion actuelle), il possède un pouvoir de mobilisation dans des secteurs spécifiques (les mineurs en Bolivie), il engendre des mouvements rebelles épisodiques (Mexique, Colombies). Une gauche traditionnelle a importé les schémas des manuels pour classifier les classes ou fractions de classe du mouvement populaire. La dualité prolétariat-paysans est insuffisante pour comprendre l’énorme quantile de secteurs qui surgissent ayant la capacité de résister ou de se rebeller.

Ce sont les ouvriers, urbains ou ruraux, mais aussi les petits propriétaires agricoles, occupants  du sol rural ou urbain, les travailleurs autonomes, les employés, les participants d’une économie  “souterraine”,  etc. Tout ceci est lié à une grande circulation entre ces secteurs sociaux. Un petit agriculteur du Nordeste brésilien sera demain un occupant de terres dans le Nord, un “bricoleur” ou un ouvrier a Sao Paulo peut également retourner à son lieu d’origine. Dans ce pays, des milliers et milliers de personnes non seulement changent d’emploi mais encore se déplacent vers d’autres régions. Ces flux de population font que les secteurs populaires peuvent faire des expériences de mutations culturelles, d’activités productives diverses, et des luttes variées enrichissent leurs vies sans que pour autant cela leur permette d’avoir le temps pour une pratique sociale et politique continue. Les mouvements sociaux populaires sont en   même temps fragmentaires et inter-communicants. Les expériences d’organisation, de prise de conscience et de lutte (grave, occupation de terres) sont à la  fois fortes et de courte durée. Ceux qui proclament que dans nos pays, les secteurs populaires sont “gélatineux” et sans capacité de revendications tombent dans l’illusion, ainsi que ceux qui. a partir de schémas idéologiques apriorismes, parlent d’un mouvement toujours en ascension de la rébellion des masses. La réalité est plus complexe, plus difficile, mais elle est en même temps chargée de virtualités et d’espérances.

Ajoutons aussi que les secteurs populaires ne restent pas isolés, vivant en îles ou archipels de “culture populaire”. Ils subissent la manipulation des politiciens et notamment des moyens de communication de masses. La télévision et la radio font parvenir jusqu’aux endroits les plus isolés des pays les modes des grandes villes, leurs musiques, et à travers les séries télévisées (il  suffit de penser à l’impact des feuilletons télévisés sur environ cinquante millions de brésiliens), le peuple entre en contact avec des valeurs et des espérances qui lui sont artificiellement communiquées. La manipulation et la résistance, l’imitation et la créativité coexistent.

Voir un seul de ces éléments, c’est simplifier une réalité provocatrice. C’est d’ailleurs un des problèmes auquel doit se heurter !’education populaire dans la région. Ce n’est pas par hasard, d’ailleurs, si c’est en Amérique Latine que se sont développées quelques-unes des expériences éducatives les plus innovatrices de ce siècle et c’est ici que Paulo Freire, d’abord au Brésil et puis au Chili (pour ensuite le faire au plan international), a systématisé quelques-unes de ces riches intuitions sur la conscientisation et la pédagogie de l’opprimé.

Au niveau international, on remarque fréquemment que l’Amérique Latine est un des lieux ou la créativité littéraire est la plus riche au XXème siècle (entre autres. Jorge L. Borges et Cortazar en Argentine, García Márquez en Colombie, Guimaraes Rosa au Brésil, Alejo Carpentier a Cuba, Miguel Ángel Asturias au Guatemala, Carlos Fuentes au Mexique, Vargas Llosa au Pérou), sans compter nos grands poètes (de Neruda a Carlos Drummond de Andrade). Les muralistes mexicains (Orozco, Rivera, Siqueiros ou Tamayo) ant illustres les transformations sociales et l’expressivité tellurique de leur pays; Guayasamin en Equateur ou Matta (chilien), à travers des traits forts et des couleurs chaudes transmettent la force de leurs peuples et de leurs histoires. Villa-Lobos (Brasil) a conjugué des thèmes populaires — qui vont des chansons d’enfants au folklore — avec les traits les plus innovateurs de l’harmonie musicale contemporaine. II y a chez certains d’entre eux un régionalisme violent attache a des racines profondes et denses. allié à une universalité qui permet qu’ils soient compris dans n’importe quelle région du monde. Ne transmettent-ils pas en même temps, en deux “fréquences” complémentaires, le particulier et le planétaire ? Theodore Roszak, analysant la “désintégration créatrice de la société industrielle”, affirme qu’aujourd’hui tout est “Ires grand, mais pas suffisamment grand”.

Nous sommes tombés dans l’anonymat des grandes agglomérations humaines qui diluent les distances et aliènent les relations interpersonnelles, et par conséquent, nous perdons la couleur locale, la convivialité dans le petit et le quotidien. Nous nous retrouvons alors au milieu du chemin, au niveau intermédiaire des pays ou des régions, sans nous apercevoir que le monde des satellites de télécommunications et celui de l’informatique sont aujourd’hui liés et découvrent leur unité. La modernité nous a donné les nations avec leurs États. Ce sont aujourd’hui d’énormes ensembles incontrôlables. ranges par la bureaucratie et par l’inefficacité et qui centralisent des décisions de mains en moins efficaces. Ne retrouvons-nous pas aujourd’hui la réalité de deux angles opposés et complémentaires, le local, petit et concret, et le planétaire ou même le cosmique ? Ne sont-ils pas plus conformes à notre nouvelle sensibilite que les arènes nationales ?

La prévision d’un monde unifié coexiste paradoxalement avec l’augmentation des affirmations catalanes ou andalouses en Europe, avec la revalorisation des sagesses mystérieuses  des  cultures indigènes en Amérique Latine {avec  ses langues, quechua, aymara, …) ou alors des cultures africaines (le candomblé de langue “nagô” de la Bahia brésilienne). Dans ce cas la,  l’Amerique Latine a un chemin à approfondir, ses racines, ses cultures  locales, ses petites réalités et expériences, mais en même temps, toutes ces disparités s’inscrivent dans une totalité régionale plus ample (le délit d’être latino-américain), et qui acquiert son sens dans l’homme planétaire qui paraît être en train de naître (I). Comment articuler le concret et l’universel, en politique, en économie, et dans les relations sociales ? Les arts ont déjà ouvert des voies, quand le Macondo de Garcia Marquez peut être compris partout dans le monde ou le “bachianas” brésiliennes de Villa-Lobos, chargées de sons des forêts, ont un sens à Salzbourg, Sidney, Lagos, Ankara ou Bombay.

Mais la di lectrique universel-particulier et celle des diversités ne se réduisent pas, en ce qui concerne l’Amérique Latine, a sa relation avec le monde. La vieille distinction entre monde développé et tiers monde devient de mains en mains utile. Une ville comme Sao Paulo, avec ses industries et ses gratte-ciel, a beaucoup de similarités avec le panorama de Chicago ou peut-être encore davantage avec les villas du capitalisme le plus moderne comme Atlanta. Le raffinement de la culture urbaine de Buenos Aires peut être comparable à la sophistication des avants-gardes a Landres ou à Milan. Un économiste a surname le Brésil : Belinde*, hybride de Belgique et inde, ou les les industries modernes se mélangent à la misère de millions de personnes. Ce ne sont pas deux Brésils parallèles, comme il a été écrit à l’époque du dualisme structurel indique par Roger Bastida, qui existent, c’est un seul Brasil, ou s’articulent, inséparables, la microélectronique et les “favelas” de la banlieue urbaine.

Traditionnel et moderne ne sont pas deux moments successifs, comme l’a naïvement postule la théorie de la modernisation. Ils existent ensemble. Mais aujourd’hui encore, au moment où la  civilisation industrielle entre en crise, le traditionnel n’est pas tout a fail le retard, le pre-industrial, mais il peut indiquer la permanence de connaissances et d’expériences anciennes qui pourront être utiles dans un monde post-industrial. Les technologies alternatives ne sont pas des techniques de deuxième ordre, mains élaborées et très bon marché, mais peuvent être des manières différentes de production, ou la technique développée, de pointe, peut découvrir des styles de production, enracinés dans les vieilles connaissances, plus féconds et plus harmonieux que le type moderne, polluant.

Et ceci est une le9on importante. Le populaire n’est pas nécessairement un signe de retard, le signe d’un folklore exotique. II peut être au contraire un laboratoire d’innovations. Et si le local et le planétaire peuvent se rencontrer pour s’affronter au niveau intermédiaire des Etats-nations en crise, la technique la plus élaborée de la révolution informatique et les vieilles traditions séculaires peuvent aussi se rapprocher au moment ou un certain type de progrès moderne donne des signes de décadence. L’Amérique Latine, où coexistent les degrés les plus divers de production de biens matériels et symboliques, n’aurait-elle pas quelque chose a dire sur l’ouverture de nouveaux chemins de civilisation ? J’ai mentionné ci-dessus les potentialités  des  mouvements  sociaux  populaires, les nouvelles classes sociales émergentes comme sujets d’un nouveaux processus historique. Mais la complexité de la région, également  mentionné auparavant, nous amène à élargir la notion des nouveaux sujets. A côté du peuple pauvre qui s’organise, des mouvements alternatifs de développement. C’est une fa9on simpliste que de voir le populaire dans ce qu’on appelle le tiers monde, et l’alternatif dans les pays développés. Ces derniers prennent conscience de leurs propres pauvres (le quart monde, les minorités, les immigrés) et dans notre région surgissent des mouvements écologiques, des mouvements féministes, des mouvements pour la paix, des mouvements de noirs, d’indigènes, etc. Et il ne taut pas dire qu’il s’agit d’une imitation du “premier monde”. II y a une spécificité de la lutte de la femme dans cette région. On découvre la créativité de l’action écologique centre le capitalisme prédateur dans les régions urbaines empoisonnées, ou centre la destruction de l’Amazonie avec les conséquences fatales pour l’équilibre de toute la planète. Les jeunes, eux aussi, prennent conscience des problèmes les plus graves et s’organisent. Populaire et alternatif s’interpénètrent et se fécondent mutuellement. Récemment, un candidat au poste de gouverneur à Rio de Janeiro, abandonnant  les schémas  de  la  gauche  traditionnelle et répétitive, a uni le Parti des Travailleurs, lie au mouvement populaire, au Parti Vert en gestation. Préparation d’alliances futures, dans cette région simultanément traditionnelle et moderne, industrielle, préindustrielle et peut-être un lieu d’expérimentation post-industrielle ?

II ne taut cependant pas oublier les priorités. Nous vivons à côté de la misère de millions de personnes, du manque de nourriture, de santé, et il est évident que penser aux modèles et aux projets futurs, c’est déjà affronter les défis du présent. Et jusqu’à maintenant, a l’exception de quelques expériences de transformation plus radicales, le capitalisme sauvage a été et continue  à être le responsable et le coupable des différences entre les riches de plus en plus riches (5% de la population) et les pauvres de plus en plus pauvres (plus de la moitié des habitants dans la région). Ce que cela entraîne de tensions, d’injustices et de conflits n’est pas difficile à déceler, avec comme corollaire, la nécessité de chercher d’autres voies pour l’économie et pour la politiques.

C’est ainsi que les évêques latino-américains, lors de leur Conférence de Puebla (1979), se référant à ce qu’ils avaient affirmé dix ans auparavant a Medellin (1968), ont indiqué que l’appel du peuple “peut être apparu comme sourd à l’époque. Mais maintenant il est clair, croissant, impétueux et parfois menaçant” (no. 89 du texte). Et ils en ont conclu que la situation s’est aggravée : “après les années cinquante, en dépit des réalisations obtenues, les grands espoirs de développement ont été déçus et la marginalisation d’une partie de la population ainsi que l’exploitation des pauvres ont augmenté (no. 1260). Et ceci nous amène à examiner, quoique brièvement, cet autre composante essentielle de la réalité latino-américaine : l’Eglise Catholique.

L’histoire de l’Église se confond, pour le meilleur et pour le pire, avec l’histoire de l’Amérique Latine. Les missionnaires sont venus dans les caravelles espagnoles et portugaises, annonçant avec la croix le début de la colonisation. Par rapport aux indiens, quelques religieux, parmi lesquels s’est distingué Bartolomé de las Casas, au Sud du Mexique, ont dénoncé l’esclavage. Les autres, la majorité, ont été complices. Quand le trafic d’africains a commencé, le silence et même l’approbation ont été encore plus embarrassants pour l’Eglise. Lors de la campagne civique pour l’abolition de  l’esclavage au Brésil, a la fin du XIXѐme siècle (il a été aboli en 1888, il y a un siècle), il y a eu  une omission difficile à justifier. L’Eglise développé au cours de plusieurs siècles son oeuvre d’évangélisation dans deux directions : animer une religiosité populaire au sein du peuple pauvre et, en même temps, former les secteurs dirigeants dans les collèges. Avec l’apparition du capitalisme, en ce siècle. Les relations entre l’Eglise et la bourgeoisie vont être ambiguës, comme dans d’autres régions du monde. L’Eglise avail ete fortement liee a l”ancien regime” et se méfiait de la modernité et du libéralisme. Mais en même temps, une pastorale rénovatrice la poussait à accepter les “nouvelles choses” et ceci comprenait, à l’intérieur de la question sociale, le processus d’industrialisation capitaliste lui-même. Les classes moyennes, partenaires mineures de la bourgeoisie, vont faire le pont dans la rencontre furtive de cette dernière avec l’Eglise.

C’est la période ou une Église moderne, en rénovation, cherchait l’adéquation à la sensibilité et aux besoins des nouveaux secteurs sociaux dominants (réforme liturgique, la première Action Catholique du modèle italien, etc). Dans le domaine politique, la pensée sociale chrétienne et ses partis vont chercher une troisième voie ou, plus précisément, la possibilité d’un capitalisme humain. Cela semble se légitimer pour ces secteurs modernes dans l”aggiornamento” conciliaire : une Église adaptée aux temps modernes. Mais cette actualisation montre tout de suite son ambiguïté. S’agissait-il accepter la nouvelle situation et de la légitimer ou alors, de l’intérieur, de la critiquer et de la surmonter ? On trouve ici la racine d’une nouvelle tension dans l’Église, qui n’oppose plus les traditionnels aux modernes. Ces derniers, très accommodés au monde industriel urbain et travaillant auprès des classes dominantes, se heurtent à la critique des nouveaux cercles ecclésiaux qui, acceptant la réalité moderne comme un fail, la nient comme projet politique et veulent travailler avec les autres sujets contestataires émergents, non pas les récentes classes dominantes mais les secteurs populaires qui s’organisent et essayent des pratiques d’action.

Des le debut des annees 60, ayant comme pionniers quelques mouvement de jeunes de l’Action Catholique spécialisée, un secteur plus radical apparaît dans la vie de l’Eglise. Souvent, au début, c’était les  étudiants, plus que les jeunes ouvriers ou les jeunes du monde rural, qui critiquent le capitalisme sous ses plus diverses formes (quelques-uns se sont engagés pour un socialisme démocratique) et qui ont commencé à indiquer que le mouvement populaire avail la potentialité de faire surgir de nouveaux sujets historiques et un autre projet de société non capitaliste. Les mouvement de la JECI et de Pax Romana ont joué là un rôle important. Il a déjà été affirmé plusieurs fois que la théologie de la libération fait ses premiers pas en 1960-1961à  travers la Jeunesse Universitaire Catholique du Brésil, affiliée simultanément aux deux mouvements internationaux (2).

Dans certains pays, des périodes de répression politique ont fermé les espaces de participation (partis, syndicats, associations). L’Eglise, de par son prestige — et aussi de par sa complicité avec le pouvoir -, de par son caractère international, son réseau organisation, a été un “sanctuaire” où les secteurs populaires ou groupes politiques de gauche ont trouvé un espace de rencontre, de discussion, de réflexion et d’action pour la défense de leurs droits. Et comrne les secteurs populaires sont naturellement religieux, ils expriment leur foi à travers la célébration eucharistique, la lecture de la Bible, ou dans des para-liturgies innovatrices. Le manque de prêtres dans la région a fait que les laïcs et les religieuses ont assumé des fonctions ecclésiales dans des structures moins cléricales que les paroisses traditionnelles. Et, à partir des années 60, les communautés ecclésiales de base apparaissent, que le Document de Puebla définit ainsi : “Elles sont !’expression de l’amour préférentiel de l’Eglise pour le peuple simple; en elles s’exprime, se valorise et se purifie la religiosité et elles offrent la possibilité de participer à la tâche ecclésiale et au compromis de vouloir transformer le monde (no. 643, motss soulignés par l’auteur).

A la différence de communautés contestataires dans d’autres régions, qui sont nées de conflits  ecclésiaux internes, celles-ci se sont formées à partir des problèmes dramatiques de la société (misère, chômage, répression,…) qui étaient analyses a la lumiere de la foi. C’est évident qu’il ne faut pas idéaliser ce mouvement des CEBs ni chercher un modèle unique. Les expériences sont variées, sont parfois traversées par des crises profondes et le défi actuel, c’est qu’elles soient un lieu de foi, illuminant l’action dans le monde et non des substituts de groupes idéologiques ou de partis politiques. D’ailleurs, ceux qui accusent ces communautés de n’être qu’à des lieux de critique sociale, méconnaissent l’énorme expérience de prière, de contemplation et de célébration qui les caractérise dans les different pays de la région.

On ne peut oublier non plus qu’à côté d’une pastorale populaire en rénovation demeurent les secteurs catholiques traditionnels ou modernisation. Dans un continent ou une bonne partie de la population se déclare catholique, les conflits sociaux de la société atteignent l’Eglise. Et la division n’est pas le clergé d’un côté et le non-clergé de l’autre (conflit intra-ecclésial), mais laïcs, eveques, pretres situés à un autre endroit du spectre social, politique et idéologique. Lors des moments de répression nous avons vu tortures et tortionnaires faisant profession de foi en une même croyance. Les divisions dans les églises centro-américaines indiquent le caractère dramatique d’une situation qui ne va pas sans faire éclater des scandales. Et en même temps, des divisions aussi profondes persistent dans l’unité d’une seule Eglise… “conflit dans le consensus”, a remarqué Emile Poulat dans un de ses livres. Ce qui n’est pas facile  expliquer pour un public non-chrétien et rneme pour les chrétiens eux-mêmes.

Dans ce texte si general, j’aimerais m’attarder sur les nouvelles expressions pastorales liées aux mouvements sociaux rénovateurs. Je préfère employer le terme de pastoral populaire, plus ambigu, pour éviter qu’on parle d’une “église parallèle”. Ce n’est pas une autre église, à côté de l’Église instituée. C’est la même, rénovée par de nouveaux charismes et qui définit les nouvelles priorités. Les expériences les plus significatives de pastorale  populaire sont profondément ecclésiales et liées à des église locales différentes. Et l’appellation même de populaire devrait peu a peu s’élargir à toutes  les expressions et pratiques qui sont à l’origine de situations alternatives créatrices. Dans le cas contraire, on risque de tomber dans un populisme qui sacralise le peuple comme  un fétiche (la société invente plusieurs fétiches, la marchandise, la nation, le peuple, le parti, etc). Dans un continent aflame, l’option est pour les pauvres, comme l’a indiqué Puebla. L’Amérique Latine a beaucoup à espérer de cette option et de la croissance de sa prise de conscience. Mais a partir de  la, une église véritablement rénovatrice doit être ouverte aux   nouvelles problématiques des différentes races, des femmes. des jeunes, de la paix. II reste encore. a l’interieur du travail pastoral. a développer davantage  les ponts entre le pauvre et la femme, l’indien et le noir. II est vrai que quelque chose a été fait ces dernières années.

II y a au Brésil une pastorale du noir, ou l’on trouve l’archevêque noir D. Jose Maria Pires (dans un pays métis, presque tous les évêques sont blancs ou se déclarent tels). Le mouvement indigène fait fortement irruption au Pérou, au Mexique et en Bolivie. La présence de la femme est quantitativement forte mais les drapeaux de lutte des mouvements féminins sont encore fragiles dans les communautés ecclésiales qui manipulent d’une manière ambiguë, pour ne pas dire schizophrène, la thématique de la sexualite (sut ce point. l’Eglise devrait etre beaucoup plus ouverte à la sensibilité contemporaine et avoir le courage d’affronter les problèmes réels dramatiques).

On remarque aussi parallèlement à la créativité littéraire mentionnée auparavant l’originalité de la reflexion theologique dans la région. Elle s’est mise en route grâce aux pratiques pastorales fécondés et non comme le résultat de recherches erudites. Plus qu’une théologie de la libération au singulier, il y a plusieurs voies théologiques qui s’ouvrent, dont la visée est d’être, selon Gustavo Gutierrez. “une parole cohérente avec une pratique”. Et à des pratiques différentes correspondent différentes nuances dans les travaux de dizaines de théologiens. Les  plus notables sont connus : Gutierrez, Jon Sobrino, les frères Boff… Mais toute une nouvelle  génération de théologiens émerge, quelques-uns sont des laïcs et il existe un groupe significatif de théologiens-femmes au Pérou, au Brésil et en Amérique Centrale. Plus que des contenus différents, il s·agit d’une manière différente de faire de la théologie, à partir des realites concretes, de ses thèmes historiques les plus innovateurs, de ses défis les plus expressifs. C’est pour cette raison que l’on discute lors de colloques en Espagne et en Suisse, de thèmes comme l’Europe et les théologies de la libération, ou il ne s’agit pas d’importer des idées mais de réinventer la pensee theologique dans des situations diverses. La théologie en Afrique, la théologie noire aux Etats-Unis, les théologies de l’énorme Asie, les théologies de la libération latino-américaines intercommunicant, dans la rneme dialectique du particulier-universel que nous avons présentée lorsqu’on a présenté la réalité sociale.

L’Eglise en Amérique Latine, est un des espaces les plus créateurs de la société. On y trouve  des  expériences de participation et de pratique démocratique au niveau local, dans une région autoritaire et, nouveau paradox, a I’interieur d’une institution religieuse avec une forte hiérarchisation et une histoire également autoritaire. Sa relation avec la société politique et l’Etat est aussi contradictoire et variée Dans quelques situations de répression, comme nous l’avons souligné auparavant, l’Église a été le lieu de défense de l’opprimé et de lutte pour les droits de l’homme. Un important ouvrage chilien de 1986, Iglesia y Dictadura de Enrique Correa et Jose A. Viera-Gallo, montre comment, dans ce pays, l’Église a été un espace de liberté et de témoignage en faveur de la justice.

Mais il est significatif que dans un pays voisin, l’Argentine, il y  a quelques mois, Emilio Mignone a écrit un livre avec le même titre, pour dire le contraire comment l’Église s’est tue et a été également complice (par les aumôniers militaires, laïcs et le clergé, y compris des évêques) de la torture et de L’élimination des prisonniers politiques (les disparus). C’est dans cette même Église que le Prix Nobel de Paix. Perez Esquivel, a lutté avec courage contre la répression. L’auteur, ancien dirigeant de la Jeunesse de l’Action Catholique, président d’une commission  nationale des droits de l’homme, a vu sa fille assassinée par les forces de la répression et a écrit, blessé jusqu’au plus profond de son être, non pour accuser de l’extérieur mais pour proclamer de l’interieur de l’Eglise meme la necessite d’avoir un “péché ecclésial”, encor plus grave que le péché social dénonce à Medellin et à Puebla. Au moment ou j’écris, quelques jours seulement nous séparent de la visite de Jean Paul II au Chili et l’Argentine et il trouvera dans ces deux pays deux espèces opposées . Une prédication universelle devra s’articuler avec deux situations ecclésiales en contradiction. Defi entre la catholicité et les expériences ecclésiales locales.

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L’Amérique Latine, région diversifiée, marquée par une forte hétérogénéité structurale, l’instabilité politique, une création culturelle dynamique, l’émergence de nouveaux secteurs sociaux, ou l’Eglise a maintenu et maintient toujours en certains domaines des alliances illégitimes, en même temps qu’elle mène une action pastorale rénovatrice et une reflexion theologique originale. Dans ce panorama, riche de contradictions et de défis, ou difficultés et reculs se coexistent avec des expériences novatrices, il y a un énorme espace ouvert et l’exigence d’une réflexion théorique qui puisse réunir rigueur et flexibilité.

Comme dans d’autres domaines dépendants, la réflexion et les auteurs suivis sont en grande partie ceux qui viennent d’Europe (ou dans certains secteurs des sciences sociales modernes, des Etats-Unis). Mais ii est intéressant de voir comment ces auteurs sont lus dans un autre contexte et de codes d’une autre manière. II y a toujours une distance, dans le temps et dans l’espace, entre la production du avoir et sa reproduction et relecture. La pensée libérale et Auguste Comte au XIXѐme siècle, Marx, Foucault ou Freud en ce siècle, sont utilisés à partir de situations totalement nouvelles pour ces auteurs.

La même chose est arrivée dans les milieux chrétiens, en ce qui concerne l’influence qu’ont eue, d’abord Maritain et ensuite Meunier ou d’autres auteurs tels que Lebret, Teilhard de Chardin, Congar ou Rahner, sur différentes générations. Si ces penseurs ont été le point de départ de certaines analyses, les auteurs latino-américains ont immédiatement avance au-delà de ces pistes ou en ant ouvert d’autres. Ainsi, Jose Carlos Mariategui, au Pérou, a recréé le marxisme latino-américain — en general tres peu original et lié aux différents courants internationaux vers lesquels il a bifurqué. Un penseur comme Octavio Paz, déjà cité, est allé bien au-delà des structuralistes, la psychologie fait des expériences significatives en Argentine et un groupe de scientifiques sociaux au Brésil et au Mexique (Fernando Henrique Cardoso et Pablo Gonzalez Casanova, en sociologie, ou Celso Furtado en économie, pour ne citer que les plus connus), non seulement analysent notre capitalisme périphérique mais encore fournissent des éléments pour comprendre les relations sociales et économiques au niveau global. On s’est déjà référé à la créativité dans le domaine théologique qui, de l’Amérique Latine, va influencer la pensée d’autres régions. Les documents du Centre d’Études Bibliques (CEBI), avec Carlos Masters à sa tête, sortent de l’exégèse érudite du texte en tant que tel ou par rapport à son origine historique pour le lier comme parole vivante aux réalités présentes sans renoncer a la rigueur.

Pour accompagner toute cette élaboration théorique, il faut tenir compte des realites concretes de la région et des pratiques qui s’y développent. Dans le cas du mouvement populaire, les premières expériences syndicales ont subi l’influence de l’anarchisme qui a été introduit notamment par les immigrés espagnols et italiens. Dans les années 20, le marxisme s’introduit, à travers les canaux de la Ille Internationale et se maintient toujours aujourd’hui comme la nuance théorique la plus forte. II y a certains éléments du marxisme qui sont actuellement des instruments naturels d’une analyse et ils ont montré leur utilité pour masquer des situations de domination. D’autres, utilisés comme slogans de bataille, sont devenus des affirmations idéologiques (d’une bonne conscience), voire des mots d’ordre dogmatiques.

Le marxisme révèle en même temps ses aspects féconds et ses limites pour ce qui est d’étudier les processus nouveaux et complexes comme, par exemple, articular les relations de classe avec les problèmes ethniques, culturels, les spécificités masculines et féminines, dimensions  psychologiques, sexuelles, etc. Commutillser d’une manière critique les éléments valables de references theoriques d constituées, qui tentent d’introduire de nouvelles catégories ou d’en créer d’autr voilà le défi pour une pensée liée à une réalité en transformation. Toujours rapport au cas du mouvement populaire, on trouve une vieille gauche qui résiste, l’innovation, prisonnière de ses manuals et de ses orthodoxies. En ce qui conce également les milieux chrétiens, —  et ceci n’est pas particulier à l’Amérique Latine formes dans la pensée scolastique et dans les “summae” qui expliquent tout, il plus facile pour beaucoup de personnes d’adopter une référence théorique la pa complète possible, qu’elle soit marxiste ou non, pour rester dans la tranquillité ce monde de certitudes.

Ceci s’oppose à une attitude critique, liée à la pratique socials et à ses questions inattendues. Et on retrouve parfois ici le décalage entre une pratique créatrice et la réflexion théorique traditionnelle. Répétant les mots de Pirandello, on pourrait par d’une pratique à la recherche d’une théorie ou, plus correctement, d’une pratique constituant une activité de théorisation permanente et toujours renouvelée. Mal les habitudes de la vieille gauche évoquées ici et l’éblouissement de beaucoup chrétiens face au marxisme qu’ils ont découvert avec du retard (rien de pire que conversions tardives), chez des centaines et des centaines de personnes travaillent avec le mouvement populaire émerge progressivement une attitude pa critique qui se heurte cependant aux vieilles habitudes de “positions correctes” et mots d’ordre autoritaires.

Il faut poursuivre ici la réflexion dans laquelle l’or originalité latino-américaine s’affronter aux autres activités théoriques d’autres contextes, pour éviter provincialismes analytiques. II s’agit toujours de l’articulation du particulier pratique et la théorie en Amérique Latine), à l’Universel (la création de “l’homme planétaire”, pour employer le terme de Ernesto Balducci, dont la réflexion théologique en Italie me semble de capitale importance). La théorie et la pratique brésilien pourraient être mises en face des réflexions et actions en Tanzanie, au Bangladesh en italie ou en Pologne. Peut-être cela ne sera-t-il pas chose facile. Pensons exemple au dialogue entre un chrétien engagé au Nicaragua et un compar polonais du même type. Mais n’y a-t-il pas derrière ces positions apparemment éloignées des points communs, des convergences à découvrir et ne serait-il le possible de surmonter les préjugés réciproques? II est evident que les réflexions s conditionnées par les contextes, mais il ne faut pas qu’elles en soient prisonnière elles veulent avoir une fonction critique vis-à-vis de ces contextes. Si la théorie e un simple reflet de la pratique, elle resterait  au niveau faible de devoir la légitime non l’aider à se refaire en permanence.

Que détachés et de défis pour Pax Romana-MIIC I Mouvement de professionnel devrait accompagner les activités en cours qui mettent les connaissances spécifique de certains domaines, d’actions particulières au service des mouvements émerger populaires et/ou alternatifs. Ainsi, un nombre significatif d’avocats travaillent, de plusieurs pays, avec les mouvements ruraux, les aidant dans leurs luttes pour l’accès à la terre, aux crédits et aux services. De la même manière, ils travaillent à une législation qui protège la nature de la destruction par le capitalisme sauvage. Des professionnels de la santé se lancent dans d’expériences de médecine populaire, redécouvrant ainsi la sagesse curative des traditions populaires locales, indigènes, afro-américaines, etc. Des éducateurs essaient d’aller au-delà des travaux pionniers des années 60 dans les domaines de l’éducation et de la culture populaire.

On peut également constater cet esprit dans d’autres professions, y compris dans le monde de sciences physiques et naturelles, ou la scientificité orgueilleuse du XIXѐme siècle cède la place aux hypothèses prudentes en physique,chimie et astronomie. Des voies comme celles ouvertes par le russe-belge Prigogine, prix Nobel de la Chimie, suppriment les limites entre le monde matériel et le monde psychique (Teilhard n’a-t-il pas articulé il y a quelques années la biosphère et la noosphère ?). En Amérique Latine, il y a des universités qui participent à ce travail qui consiste à ouvrir des nouvelles voies à une science en crise. Et elles peuvent trouver de l’aide dans les éléments d’anciennes cultures et mentalités amérindiennes qui ont été rejetés  au nom d’une modernité positiviste.

Et les chrétiens ont une mission importante. Pendant très longtemps, les secteurs intégristes sont restés sur la défensive par rapport à la modernité. Actuellement, les chrétiens sont appelés à la construction d’un monde d’avenir (et non pas à la restauration de ce qui est déjà mort). II y a une tendance propre aux nouveaux groupes néo-intégristes qui adoptent, dans cette action, une attitude de conquête (toujours la tentation des croisades) devant le monde. Cela serait rétrogradé par rapport a l’avance prise ces dernières décennies, quand on a accepté de travailler au milieu du monde avec “tous les hommes de bonne volonté”, comme a affirms Jean XXIII, pour y être un signe — sacrement — du royaume de Dieu en gestation. II y a toute une pratique pluraliste et démocratique que l’on apprend avec le mode d’existence des nouveaux mouvements sociaux émergents.

En cette période de mutation historique, les chrétiens latino-américains participent à une activité qui depasse les frontieres geographiques. Ils recherchent à partir de leurs racines, de leurs pratiques et de leurs réflexions spécifiques, les voies pour la construction d’une société qui est à la fois plus diversifiée et en processus d’unification, pluraliste et participative. II n’existe pas de plan préétabli. Ce Sont les expériences les plus diverses, s’articulant en réseaux flexibles (“networks”), qui créent, petit à petit, un monde nouveau et un homme nouveau. Et les professionnels chrétiens n’ont-ils pas l’opportunité d’exercer une fonction irremplaçable “d’intellectuels organiques” au service de ces expériences créatrices ?

Notes

  1. J’ai développé ce point dans un texte préparé pour un Congrès Latino-Américain de, Sociologue  :  Secularização em declínio e potencialidade transformadora do Sagrado (religião e movimentos sociais na emergência do homem planetário) (Sécularisation en déclin et potentialités transformatrices du Sacré (religion et mouvements sociaux dan, l’émergence de l’homme planétaire), publié dans Revista Eclesiastica Brasileira (juin 1986) dans la revue Synthese (mai-aoüt 1986) et dans la revue Religiao e Sociedade (no 13-2, 1986).
  2. L’histoire de la JUC a été le sujet de ma thèse de doctorat de 3ѐme cycle de l’Université de Paris Ill, les Étudiants Chrétiens et la Politique au Brésil, 1979 (2 vols.); publiée en portugais avec le titre A JUC: os estudantes católicos e política, ed. vozes, 1984. Gustave Gutierrez, entre autres, a fail la liaison entre le travail de la JUC brésilienne et le theologie de la libération.

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