1. L’encyclique constitue une étape nouvelle dans la pensée sociale de l’Eglise. Ce n’est pas une encyclique sur le changement climatique ou l’environnement ou l’écologie au sens étroit du terme. C’est un document qui prend place dans la série de Rerum Novarum (1891 sur l’industrialisation et la misère ouvrière), de Quadragesimo Anno (1931, sur l’ordre social et la subsidiarité), de Pacem in Terris (1963, la paix entre les nations), Populorum Progressio (1967, sur le développement des peuples pauvres), Centesimus Annus (1991, la critique du néo-libéralisme et la nécessité d’une éthique en matière économique et politique)…  Laudato si porte un regard critique sur l’évolution des sociétés globalisées, sur le néo-libéralisme triomphant et sur la croyance naïve dans les vertus du marché et du progrès technique.  
  2. Laudato si est un appel à une révolution écologique, un changement de paradigme, selon les mots de l’encyclique. C’est à dire un changement de nos manières de pensée, de notre regard. Un paradigme, c’est l’ensemble des expériences, des croyances et des valeurs qui influencent la façon dont une société perçoit la réalité, réagit et construit l’avenir.
  3. Ce paradigme –l’écologie intégrale– n’entre pas en compétition avec des paradigmes scientifiques (l’état de la science actuelle) ou politique (conservatisme, libéralisme, social-démocratie…). « L’Eglise n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent… pour le bien commun » (& 188). Ce nouveau paradigme est une pensée critique à l’égard des évidences de sens commun, et une sollicitude active (le soin, care en anglais, pour la maison commune, selon le sous-titre de l’encyclique), un soin de la planète pour les générations actuelles et futures.
  4. Ce nouveau paradigme demande de bâtir de nouveaux modèles de développement, de définir à frais nouveaux le progrès. « Il ne suffit pas de concilier en un juste milieu la protection de la nature et le profit financier… il s’agit de redéfinir le progrès » (& 194). Ce progrès ne se confond pas avec la croissance, avec l’accumulation de richesses matérielles, avec l’augmentation du PIB… le vrai progrès consiste à augmenter la qualité de la vie. Voilà un vaste domaine de recherche ouvert : comment définir la qualité de vie ? comment la mesurer ? comment la faire croître ? etc.
  5. Les connaisseurs de la pensée sociale de l’Eglise n’identifieront pas tant d’accents totalement nouveaux dans cette encyclique. La nouveauté, c’est la synthèse d’éléments déjà connus replacés dans une puissante réflexion globale. Le pape François appelle à abandonner les logiques de domination, d’exploitation, de gaspillage, de prédation, les cultures du déchet… au profit de logique de don, de beauté, de qualité de vie, de spiritualité… Il reprend l’enseignement de ses prédécesseurs sur la relation étroite entre les pauvres et la fragilité de la planète, les pauvres premières victimes des dérèglements climatiques ; la critique de la technologie ; la critique de la foi naïve dans les vertus du marché qui prétendrait détenir à lui-seul les solutions à nos problèmes collectifs ; l’invitation à chercher d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès ; la dignité de chaque être humain ; la nécessité de débats sincères et honnêtes où l’on donne une place à toutes les parties prenantes, surtout les plus pauvres et les moins représentés ; la responsabilité de la politique internationale mais aussi locale ; le lien entre changement des politiques publiques et modifications des modes de vie ; la contribution de l’éducation et de la spiritualité …
  6. Quelques points saillants de cette encyclique.

6.1. Crise écologique et crise sociale ne font qu’un. « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale… (il faut) une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature » (& 139).

6.2. Contre le messianisme de la technique et du marché.  « La technologie et son développement (est devenue) un paradigme homogène et unidimensionnel… l’idée d’une croissance infinie ou illimitée a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues… l’économie actuelle et la technologie ne résoudront pas tous les problèmes environnementaux… le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l’inclusion sociale… » (& 106-108-109). Une nouvelle éducation doit viser à « une critique des mythes de la modernité : individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles… » (&210)

6.3. Pour la régulation en économie. « Le principe de maximalisation du gain… est une distorsion conceptuelle de l’économie… on ne peut pas justifier une économie sans politique qui serait incapable de promouvoir une autre logique…la logique qui ne permet pas d’envisager une préoccupation sincère pour l’environnement est la même qui empêche de nourrir le souci d’intégrer les plus fragiles… » (& 195-196). « L’environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate » (& 190)

6.4. Pour la gestion en commun des biens communs globaux. « La gestion des océans (exemple) il faut un accord sur les régimes de gestion pour ces ‘biens communs globaux’… la maturation d’institutions internationales devient indispensable… plus fortes… efficacement organisées… une véritable autorité politique mondiale » (&174-175).

6.5. Pour un changement des modes de vie. « Le paradigme d’efficacité de la technocratie… mène à une culture consumériste qui donne priorité au court terme et à l’intérêt privé… » (&189 et 184). « Le consumérisme compulsif … et obsessif et le reflet subjectif du paradigme techno-économique » (& 203).

  1. L’encyclique est un exercice pratique de collégialité pour l’Eglise catholique. 14 conférences épiscopales sont citées, mais pas la française. En plus du CELAM et du FABC.
  2. L’encyclique est un exercice pratique d’œcuménisme. « Je voudrais recueillir… l’apport du cher Patriarche œcuménique Bartholomée… » (&7). C’est la première fois dans une encyclique qu’un chrétien non catholique est cité comme source de la pensée de l’Eglise. Le pape résume la pensée de Bartholomée comme source d’inspiration (& 8-9).
  3. L’encyclique appelle au dialogue :

9.1. Dialogue entre chrétiens. Voir l’œcuménisme au point 8.

9.2. Dialogue avec les scientifiques et les politiques et au dialogue entre eux.

9.3. L’encyclique cite des auteurs profanes (ce qui est rare dans les encycliques) : le philosophe Ricoeur et surtout le théologien allemand Guardini. Scannone, argentin a aussi droit à une citation ! La pensée sur la technique est fondée sur Guardini et non sur Ellul ! Un mystique musulman soufi est cité en note : Ali al-Khawwas (& 233).

9.4. Dialogue avec les « personnes concernées », c’est-à-dire surtout les plus démunis des habitants affectés par des projets de « développement ». Le pape est soucieux que toutes les parties prenantes aient droit au chapitre, surtout dans les pays où la mal gouvernance et la corruption entravent les processus démocratiques.