Le populisme se développe dans de nombreux pays en Europe. Le mot est bien choisi ou non, mais il décrit une dérive de la culture démocratique dont il constitue une véritable pathologie. On trouvera ici le second article, rédigé par le Professeur Hans Schelkshorn qui enseigne la philosophie à la Faculté de théologie de Vienne (Autriche) et qui informe sur la Hongrie. Malheureusement, le populisme n’est pas limité à ces deux pays.

Ces deux articles se trouvaient sur le site de la COMECE et ils ont été retirés à la demande des conférences des Evêques de Pologne et de Hongrie.

À propos de l’idéologie de la Nouvelle Droite en Hongrie

Viktor Orban est devenu le chef de file des Nouvelles Droites en Europe. Hans Schelkshorn, professeur de philosophie à la faculté de théologie catholique de l’Université de Vienne, s’intéresse à l’idéologie qui les sous-tend d’un point de vue critique.
Contrairement aux mouvements fascistes du début du 20e siècle, les partis de la néo-droite en Europe ne poursuivent plus aujourd’hui l’objectif d’une abolition par la force mais d’une «transformation» interne de la démocratie libérale par un fondement ethnique du politique. En outre, la distinction fasciste entre race des seigneurs et races inférieures est remplacée par le principe de la coexistence pacifique entre des ethnies différentes. L’idéologie dite de l’«ethnopluralisme ou ethno-différencialisme» affirme certes l’idée des droits de l’homme, mais le vide de sa substance universaliste pour lui substituer le concept de «nation» au sens racial («völkisch»).
    C’est dans ce sens que le FPÖ de Jörg Haider inscrivait dans son programme de parti l’élargissement des droits de l’homme à un «droit à la patrie» («Recht auf Heimat»). Toutefois, la protection de la patrie n’est pas un droit de l’homme qui puisse être poursuivi par l’État par voie de justice. En effet, dans une démocratie libérale, le sens de «patrie» ou d’«identité culturelle» est renégocié dans le cadre de débats publics sur la base de la liberté d’opinion ou de réunion.

Défense de l’«Occident chrétien»?

Ce qui, pour Haider, restait une vision, est aujourd’hui effectivement mis en œuvre par Viktor Orban. Le premier grand projet du gouvernement Fidesz réélu en 2010 a été une nouvelle Constitution, dans laquelle les droits de l’homme sont «intégrés» à l’idée d’une nation chrétienne. Orban se présente donc comme défenseur de l’«Occident chrétien». La Cour constitutionnelle est tenue de motiver ses décisions à la lumière du préambule, c’est-à-dire à la lumière du mythe d’une nation chrétienne de Hongrie. Étant donné qu’il revient à l’État de protéger le peuple («Volkskörper»), le gouvernement hongrois recourt aux moyens de l’autorité publique à l’encontre des groupes d’opposition qui défendent une autre idée de la nation.
     Le concept courant de «populisme» minimise l’orientation idéologique des Nouvelles Droites, laquelle ne se laisse nullement mener par les changements d’humeur du «peuple» («Volk»). Au contraire, les parties de la néo-droite savent depuis toujours ce que doit être «la» volonté «du» peuple et surtout qui fait partie du peuple. En règle générale, les Roms, les juifs, les athées, les socialistes et les avant-gardes artistiques ne constituent pas une partie intégrante du corps de la nation («Volkskörper»). Dès lors que l’idéologie de la néo-droite menace de l’intérieur l’État de droit et la démocratie engagée en faveur des droits universels de la personne, il s’agit stricto sensu d’un «post-fascisme» ou, comme Orban lui-même le formule ouvertement, d’une «démocratie non libérale». En prévention à d’éventuels malentendus: en dépit du culte récent dont fait l’objet l’amiral Horthy, Orban n’est pas un fasciste; ce serait une représentation totalement fausse de son positionnement.

Différenciation par rapport aux musulmans

L’actuel mouvement des réfugiés projette une lumière très crue sur les contradictions d’un post-fascisme chrétien. Comme l’annonce le gouvernement Orban, et que certains considèrent comme sans scrupules par rapport aux droits de l’homme et au message chrétien, «Nous ne voulons pas de cohabitation avec les musulmans». La motivation nationale («völkisch») de cette différenciation se combine sans difficulté à des gestes de mépris et d’humiliation. Les réfugiés ayant fui la guerre civile sont en gros assimilés à des demandeurs d’asile économiques, leur prise en charge est confiée à des intervenants privés et des affiches les déclarent publiquement persona non grata. En raison de son comportement envers les réfugiés et les Roms, la Hongrie a été sévèrement critiquée par le Conseil de l’Europe et sa Commission contre le racisme et l’intolérance.
    Pourtant, comme Albert Camus le soulignait avec lucidité il y a déjà plusieurs décennies, «Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme.» Il semblerait que les Églises chrétiennes de Hongrie aient soutenu dès le début la politique de Viktor Orban, lui-même membre de l’Église réformée. Des évêques catholiques hongrois appellent publiquement à prier pour Orban pendant la messe. Des courants de l’Église réformée sympathisent même avec le parti d’extrême droite Jobbik. Seule l’Église luthérienne se tient à une certaine distance du pouvoir.
    En cohérence avec le caractère chrétien tel que défini par la tête de l’Eglise catholique, les idéaux humanitaires de l’Europe et l’«Occident chrétien» ne sauraient être défendus par un retour de la politique à des principes ethniques. Ils le seront plutôt par une politique publique généreuse en matière d’asile et par l’engagement de bénévoles qui accueillent chaleureusement les réfugiés dans les gares, les lieux de rassemblement et les localités frontières, en leur fournissant les biens de première nécessité et en leur offrant le gîte et le couvert.

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