Les événements politiques italiens des derniers mois (Election d’un gouvernement composé du parti d’extrême droite La Lega et du parti populiste 5 étoiles) ont révélé un changement, non seulement dans les formes et les orientations politiques qui caractérisent le nouveau gouvernement, mais aussi dans la conscience du pays.  Nous avons cultivé pendant de nombreuses années l’idée que les Italiens, outre leurs défauts, étaient encore un peuple hospitalier, ouvert à l’Europe, capable de faire face sérieusement aux moments difficiles de son histoire. Aujourd’hui tout semble bouleversé, comme si une grande anxiété érodait nos pensées et changeait nos croyances : les processus de mondialisation et de financiarisation de l’économie nous semblent ingérables et génèrent de graves inégalités sociales, et donc produisent en nous le besoin d’une défense, qui prend de plus en plus le caractère de fermeture. Et c’est le même mécanisme par lequel nous vivons les phénomènes migratoires, que nous aimerions mais que nous ne pouvons pas réguler comme nous le souhaitons : il ne suffit pas de dire que le nombre de migrants dans notre pays est relativement petit (comparé à d’autres pays européens), parce que la perception est différente. Dans cette situation, qui n’est pas différente de celle de nombreuses autres réalités présentes en Europe et aux Etats-Unis, les références idéales et culturelles sur lesquelles la société était basée et sur lesquelles la politique s’est appuyée ont également changé.

    Ce sentiment d’impuissance et de peur pour l’avenir est maintenant compris et assumé surtout par certains mouvements politiques, qui sont partisans d’une bataille dure (avant même de dire le contenu) contre les organisations auxquelles ils attribuent la responsabilité de cette situation : les bureaucrates européens, considérés comme obtus et incapables de voir les dangers de cette phase historique, ceux qui ont gouverné le pays ces dernières années, loin des problèmes du peuple, ceux qui aident les migrants à atteindre nos côtes. Le style péremptoire, l’utilisation de slogans qui attirent un consensus facile, créent un lien entre les représentants de ces mouvements et une partie substantielle des personnes qui se reconnaissent dans cette lecture des événements : les dirigeants s’identifient avec le peuple (“nous sommes l’État, il n’y a pas de droite et de gauche, il y a le peuple contre l’élite” sont des expressions emblématiques que nous avons entendues ces derniers mois).

    Dans ce scénario, nous pouvons nous poser de nombreuses questions : est-ce encore la démocratie que les pères constitutifs et les pères de l’Europe pensaient ? Le rôle des institutions, du Parlement et de la présidence de la République n’est-il pas remis en question ? Qu’adviendra-t-il des corps intermédiaires de la société qui ont assuré la dialectique sociale, la confrontation entre instances au sein d’associations libres ? Qu’adviendra-t-il de la politique (celle avec un P majuscule pour dire comme le Pape François) ?

    Mais aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de la politique et d’une classe politique capable de relever les défis sociaux, économiques et culturels, et de faire face aux conflits (générationnels, territoriaux, entre groupes sociaux, entre Etats….) afin de les résoudre par l’art difficile de la médiation. Mais composer des demandes différentes à travers la recherche de solutions réfléchies et respectueuses des idées de tous, est considéré comme quelque chose du passé, parce que nous devons décider de manière radicale, nous devons prendre parti d’un côté contre l’autre, parce que dans les citadelles assiégées il n’y a qu’un seul « nous » à protéger contre « eux » qui veulent imposer leur volonté. Il est intéressant de noter que le modèle pour cette forme d’interprétation de l’action politique est de plus en plus le président Trump, qui est en conflit avec le monde qui l’entoure, dans le seul but déclaré de défendre l’Amérique et les Américains. Et il pique délibérément, parce qu’il sait qu’en trouvant toujours des adversaires à battre, il renforce la relation avec son peuple, les gens qui se reconnaissent en lui.

    Les résultats semblent lui donner raison : du point de vue économique, du point de vue de la politique internationale (avec la pacification retentissante avec la Corée du Nord, quand quelques mois avant les deux présidents se moquaient l’un de l’autre, avec des tons même vulgaires et indignes de leur rôle), du point de vue du succès médiatique. Dans un crescendo Rossinien, d’autres chefs d’État ou de gouvernement suivent la même ligne. Et nous ne nous rendons pas compte que nous faisons marche arrière, parce que, malgré quelques succès temporaires, un climat de relations empoisonnées se crée, ce qui conduit à des temps difficiles, au risque de conflits irrémédiables. Le débat qui enflamme les médias sociaux, corrosif et cruel, est un signe suffisamment éloquent que nous sommes en guerre entre individus, dans laquelle les armes sont remplacées par des messages tranchants et violents.

     La longue période pendant laquelle nous avons cru possible de dresser, au moins en Europe, un tableau de relations plus fraternelles, semble être à son terme. Cependant, il devrait être clair que ce n’est qu’en retrouvant une attitude de dialogue et de confrontation, en régénérant la cohésion entre les groupes, les communautés et les États, que nous pouvons avoir une chance de répondre à des problèmes auxquels un seul pays ne peut faire face seul. Tout le monde fait sa part.

     Si nous regardons l’Italie, nous avons besoin, aujourd’hui encore plus qu’hier, de redécouvrir, à travers de nouvelles formes de participation, le goût de penser, de concevoir ensemble, de faire, de naviguer à contre-courant parce que nous devons surmonter la méfiance généralisée envers toute initiative qui nous invite à penser et à comprendre. Il y a des possibilités qui luttent pour émerger, des expériences que peu connaissent, une disponibilité généreuse de personnes et d’associations sur lesquelles nous pouvons compter pour régénérer notre vie démocratique. Ces derniers mois, j’ai observé, même dans l’espace ecclésial, une demande croissante d’engagement envers la société, qui s’exprime sous différentes formes, parce que les sensibilités et les convictions sont différentes. Cependant, nous devons être conscients de l’ampleur du défi : l’ordre du jour des questions que nous devons traiter est long et complexe, et il serait peut-être bon de commencer par les questions contenues dans Laudato si, qui a le grand mérite d’aborder les aspects centraux de la vie mondiale avec largeur et clairvoyance. Parce qu’un regard global et confiant est le meilleur antidote contre le recul narcissique d’une société qui s’est perdue.

Traduit du texte Italien d’origine par Philippe Ledouble.