Les intuitions ecclésiologiques initiales de l’action catholique

En 1916, le Pape Pie XI a créé l’Action Catholique (A.C.) à partir de diverses réalités apostoliques des laïcs, surtout italiennes (l’Opera del Congressi Cattolici de 1874, la FUCI de 1895, Unione Donne de 1908, etc.). Le premier statut définit l’A.C. comme «la participation des laïcs à l’apostolat hiérarchique». La JOCI, comme expérience spécialisée de l’A.C., initiée par J. Cardijn à Bruxelles, est reconnue officiellement en 1925. Ensuite d’autres mouvements de jeunesse spécialisés apparaissent comme MIJARC, JICI, MIDADE, JECI (s’inspirant du MIEC Pax Romana de 1921) ainsi que les mouvements correspondants pour adultes (MMTC, MIAMSI, FIMARC, MIIC).

Quelles sont les intuitions ecclésiologiques initiales du MIIC ?

Urgence d’une présence chrétienne/catholique significative, c’est-à-dire « apostolique » selon l’expression classique, au sein des mondes ouvrier, rural et agricole, étudiant et universitaire, intellectuel et culturel, indépendant, professionnel.

– Rôle central du laïcat, ce qui était en accord avec l’objet des associations de laïcs naissantes, qui considéraient comme de nouveaux sujets de l’Eglise les mouvements apostoliques formés de laïcs et destinés aux laïcs. C’est pour cela que la gestion et la présidence de ces mouvements revenaient aux laïcs eux-mêmes.

– Relation spéciale avec la hiérarchie : Pie XI parlait de «participation à l’apostolat hiérarchique», et Pie XII nuançait en disant qu’il vaudrait mieux parler de «la coopération propre des laïcs dans l’Eglise». Ainsi, il voulait souligner qu’il s’agit d’un apostolat «authentique» puisqu’il découle de la même mission ecclésiale que celle des évêques (pour cela, on parlait de « mandat » que l’A.C. tenait pour partie des évêques). Même si cette précision était explicitement destinée à l’A.C., d’autres mouvements de caractéristique similaire (c’est-à-dire avec la participation de laïcs organisés et ayant une mission dans le monde) ont été aussi mis sous la même relation spéciale (qui comportait l’approbation par la hiérarchie et la nomination ou la reconnaissance par celle-ci des  principaux responsables).

– Conscience de « fraternité avec le monde entier » (ainsi s’exprimait le philosophe E. Gilson lors de l’Assemblée fondatrice du MIEC Pax Romana en 1921). Il s’agit de la conscience internationale qui a marqué la fondation de tous les mouvements d’A.C. spécialisée depuis la première guerre mondiale comme après la deuxième guerre mondiale et qui a influencé l’Eglise (OIC/ présence internationale).

La réception des ces intuitions pendant le concile Vatican III

Le Concile Vatican II (1962-1965) relit et reçoit ces intuitions dans un cadre ecclésial plus global, celui d’une  “ecclésiologie intégrale” (Y. Congar). La théologie du laïcat est assumée pour la première fois ainsi :

–              description positive : d’ordre séculier et de dignité commune (LG 31s.),

–              le laïcat à l’intérieur du Peuple de Dieu (LG cap. II),

–              comme « sujets »: les charismes et le « sensus fidelium » (LG 12),

–              différentes formes d’apostolat.

La question de la mission de l’Eglise dans le monde est proposée ainsi :

–              le dialogue et la présence dans le monde sont l’axe de la mission (GS 1),

–              la référence à Jésus-Christ comme clé de l’humanisme (GS 22),

–              liberté (GS 17), égalité (GS 29) et fraternité (GS 32) : comme valeurs,

–              la juste autonomie des réalités terrestres est affirmée (GS 36),

–              le progrès humain contribue au Royaume de Dieu (GS 39),

–              « l’option religieuse », chrétiens dans le  monde,  est  affirmée (GS 42).

Les quatre critères qui caractérisent l’A C. sont précisés (document AA20) :

–              sa finalité évangélisatrice : « son but est le but apostolique de l’Eglise, »

–              la collaboration des laïcs : ce sont eux les responsables de l’A.C.,

–              elle est structurée en mouvement : avec un corps organisé et communautaire,

–              en communion organique avec le ministère pastoral de l’Eglise : coopération directe avec l’apostolat hiérarchique qui peut manifester cette coopération par un mandat explicite.

La « nouvelle organisation canonique » des associations et mouvements dans le code de droit canonique de 1983

Cette nouvelle organisation fait la distinction entre association publique et association privée de fidèles (canons 299 et 301). Les publiques, érigées par la hiérarchie, participent de la mission propre de l’Eglise (c.301). Elles agissent « au nom de l’église » (c.313), formule qui exprime que leur « caractère spécial » est reconnu publiquement. Bien que l’on ne cite pas l’A.C., il est clair qu’elle rentre plutôt dans le cadre des associations publiques.

Relecture réalisée par le synode épiscopal dur Vatican II en 1985

L’ecclésiologie de communion est l’idée centrale du Concile Vatican II. Elle ne peut se réduire à de simples questions organisationnelles. Elle est le fondement de l’ordre de l’Eglise et, en premier lieu, de la juste relation entre unité et pluralité. « Nous faisons état que les signes de notre temps sont différents de ceux de l’époque du Concile, les angoisses et les anxiétés se sont accrues. Ceci nous oblige à une nouvelle et plus profonde réflexion pour interpréter les signes à la lumière de l’Evangile » (cf. Gaudium et Spes n. 1).

« Il faut expliquer à la lumière du mystère pascal la relation entre l’histoire humaine et l’histoire du salut. Certes, la théologie de la croix n’exclut pas la théologie de la création et de l’incarnation mais, au contraire, la présuppose ».

« La séparation entre l’Evangile et la culture est considérée comme « un drame de notre époque » (Encyclique de Paul VI : Evangelii Nuntiandi 2.0).

« Dans l’option préférentielle pour les pauvres – à ne pas prendre comme exclusive – brille le véritable esprit de l’Evangile ».

« La mission de l’Eglise, bien que spirituelle, implique aussi la pro motion humaine incluse dans le champ temporel. On doit dépasser les fausses et inutiles oppositions entre la mission spirituelle et la diaconie en faveur du monde. »

L’exhortation apostolique postsynodale ‘Christi Fideles Laici » de 1988

Le Synode sur le Laïcat de 1987 fut le premier grand moment de confrontation avec les mouvements et les associations des laïcs depuis l’apparition des nouveaux mouvements. Parmi les interventions les plus significatives sur les nouveaux mouvements, certaines furent :

– favorables : L. Giussani, fondateur de « Communione et Liberazione », et Mgr P.J. Cordes, alors secrétaire du CPPL et conseiller des « Néo catéchumènes » : «Le charisme de chaque nouveau mouvement va de pair avec le ministère pétrino-papal ; il existe un parallélisme avec les mouvements ecclésiaux de rénovation du 13ème siècle (franciscains, dominicains). »

– critiques : Cardinaux A. Lorscheider (du Brésil) et C.M. Martini (de Milan) : « L’évêque diocésain est celui qui discerne les charismes ; il ne doit pas avoir une action pastorale parallèle ; danger d’un projet pastoral et de société global sans enracinement diocésain. »

Parmi les interventions sur « la condition séculière » du laïcat, on peut rappeler celles de :

– Mgr E. Corecco (Suisse, canoniste) : propriété, mariage et liberté sont les caractéristiques les plus marquantes de la sécularité.

– Mgr F. Sebastien (Espagne, théologien) : la sécularité n’est pas de nature théologique, mais d’ordre anthropologique. Elle affecte toute l’Eglise pérégrine (= en pèlerinage sur la terre).

– La proposition synodale N° 4 approuve : « Le caractère séculier ne peut pas se définir seulement en termes sociologiques mais, surtout, il doit être défini en termes théologiques ».

– L’homélie finale du Pape : il cite le fameux texte de Paul VI : « l’Eglise a une authentique dimension séculière, inhérente à sa nature même et à sa mission qui s’enracinent dans le mystère du Verbe incarné et qui se réalisent sous différentes formes par l’intermédiaire de tous ses membres ». L’exhortation qui correspond à ce synode, Christi fideles laici de 1988, apparaît comme un appel urgent à la mission de l’avenir :

– sur la sécularité : « La condition ecclésiale des fidèles laïcs est définie dans sa racine à partir de la nouveauté chrétienne et caractérisée par son caractère séculier » (ChL 15).

– sur les associations et mouvements : le Synode constate une nouvelle saison d’associations des fidèles laïcs et reconnaît la liberté d’association, fruit du baptême (ChL 29).

Il établit des critères d’ecclésialité selon le Concile Vatican II (ChL 30) : Il affirme l’opportunité d’une reconnaissance officielle pour certains mouvements qui assument ainsi une responsabilité spéciale (ChL 31). Dans l’alinéa sur la « relation particulière avec la hiérarchie », on ne mentionne que les divers mouvements qui composent l’A.C. (ChL 31).

L’écclésiologie émergente des nouveaux mouvements.

Les mouvements écclésiaux et leur place théologique. (Conf du Cardinal Ratzinger lors du congrès modial de Mai 1998

Pour mémoire : les mouvements de rénovation dans l’histoire de l’Eglise, spécialement les ordres mendiants (franciscains et dominicains) ; l’articulation entre institution et charisme (l’importance du « fondateur ») ; les mouvements appelés mouvements « ecclésiaux » plutôt que mouvements de laïcs pour des laïcs.

Les critères pour définir ces mouvements sont l’enracinement dans la foi « apostolique » de l’Eglise ; la volonté d’unité ecclésiale : « S’appuyer sur les successeurs des apôtres et sur le successeur de Pierre, qui sont responsables de ce que l’Eglise locale et l’Eglise universelle fonctionnent comme le peuple de Dieu, qui est un » ; la vie apostolique ; la proclamation de l’Evangile ; la rencontre personnelle avec le Christ ; la construction d’une communauté ecclésiale.

Quelques questions pour le troisième millénaire.

Comment le nouveau contexte mondial se reflète-t-il dans l’Église ?

La crise de la raison et du pluralisme contemporain ; le pari ecclésial pour un dialogue foi/raison et pour la proposition du sens de la vie commençant par l’adage « Connais-toi toi-même » (ainsi l’Encyclique « Foi et raison » de 1998).

La globalisation et le fait que le discours ecclésial se centre de moins en moins sur l’Europe et l’Occident, contrastant avec la prééminence renouvelée de la papauté et de la Curie romaine et une certaine crise des Conférences épiscopales.

Comment les MACS peuvent-ils aider à l’intégration vitale des trois domaines propres de la vie et du témoignage chrétien ?

Comment intégrer aujourd’hui ces 3 dimensions : la foi personnelle et le vécu : la dimension croyance/personnelle ; la proclamation communautaire-ecclésiale : la dimension croyant/Eglise ; la vie et l’engagement quotidien : la dimension croyant dans le monde.

L’auto compréhension de la mission évangélisatrice dans le monde,

ou la primauté du dialogue et de l’annonce de la Bonne Nouvelle? Ou la primauté de la confrontation et de la dénonciation prophétique ? Comment articuler ces dimensions ?

La théologie du « l’engagement militant » (quelques notes) :

–              Peu de réflexion aujourd’hui sur l’engagement militant.

–              Récession des théologies de l’engagement radical (politique, libération).

–              Difficulté d’une théologie de l’engagement « non radical » : l’éthique ?

–              Importance de l’engagement « ponctuel » (engagement distancié).

–              Affirmation qu’il ne faut pas privatiser la foi (Evêques de France).

–              Entre la globalisation ecclésiale et l’inculturation (Synodes continentaux).

–              Peut-on envisager la globalisation ecclésiale comme clé de la catholicité ?

–              Quels seraient les plausibles projets internationaux positifs et pas seulement « anti-globalisation » ?

–              Les ACS comme réseaux de relation et de liberté ou comme lieux de référence évangélique-ecclésial-social-international ?

–              Trois possibles scénarii du christianisme aujourd’hui : repli identitaire, réduction culturelle (le christianisme entendu purement comme fait culturel) ; ou rénovation de la proposition croyante, cherchant à se renouveler à l’intérieur des valeurs communes à caractère humaniste.

Vers une compréhension des mouvements d’A.C. comme les « laïcs du diocèse » :

la référence à l’A.C. de Vatican II, du document « ChristiFi-deles laici » de 1988, du Synode diocésain de Rome en 1993, qu’est-ce que cela comporte ?

De fait, selon les quatre « critères » de Vatican II, l’A.C. n’est pas à proprement parler une association ou un mouvement de plus. Mais tout au contraire, à travers ses diverses manifestations telles que les mouvements spécialisés ou ceux plus généraux (bien qu’ils ne puissent pas toujours être sous le sigle de l’A.C.), elle est la forme habituelle évan- gélisatrice, évidemment ni unique ni exclusive, mais la plus habituelle des «mouvements laïcs» (organisés) dans le diocèse.

Il s’agit de quelque chose de similaire à d’autres institutions diocésaines, comme la paroisse qui est une forme habituelle – ni unique ni exclusive mais la plus courante – de l’organisation pastorale d’un diocèse. Comme cela, nous pouvons comprendre pourquoi Paul VI et Jean-Paul II parlent de l’A.C. comme « d’une forme singulière de service ecclésial ou de ministère ».

Cette compréhension n’est pas le fruit d’un privilège de l’A.C. mais surgit du besoin de stimuler et de s’assurer que ces formes de service des laïcs – et pour les laïcs – sont une forme d’être Eglise authentique et missionnaire et ainsi de réaliser la finalité évangélisatrice de l’Eglise. Parmi ces services, l’A.C. est importante comme « mouvement des laïcs dans le diocèse » dans un milieu, un domaine ou un secteur spécialisé, qui se charge d’y réaliser la mission ecclésiale.

Jésus-Christ, l’Eglise et le salut : présence dans le monde, dialogue inter-religieux et interculturel : points de repère et défis

– L’Eglise est un chemin ordinaire du salut (Encyclique Redemptoris Mission 5,5) mais il existe, pourtant, des chemins « extra- ordinaires ».

–              Les hommes de bonne volonté (GS22), ceux qui cherchent Dieu avec un cœur sincère et essayent dans leur vie d’accomplir la volonté de Dieu qu’ils reconnaissent à travers ce que leur dit leur conscience (LG 16 ; AG 7 : « chemins connus seulement par Dieu »).

–              « Les médiations partielles du salut » : « On n’exclut pas les médiations partielles de tout type et tout ordre, mais elles n’ont de sens et de valeur que par la médiation du Christ (Redemptoris Missio 5).

–              « La relation implicite du salut avec l’Eglise » : le salut du Christ est accessible en vertu de la grâce. Celle-ci, bien qu’ayant une relation mystérieuse avec l’Eglise, ne les introduit pas formellement en elle, mais les illumine de manière adéquate en sa situation intérieure et environnementale (Redemptoris Missio 10).

-l L’Eglise est « sacrement », c’est-à-dire signe et instrument de la finalité ultime ou du salut qui est « l’union intime avec Dieu, la filiation du Christ, et l’unité de tout le genre humain – la fraternité universelle » (LG 1).

A propos des aumôniers

– Les assistants ecclésiastiques : le ministère pastoral de l’aumônier est témoignage et service pour les deux axes principaux de l’être dans l’Eglise : la foi par l’annonce de l’Evangile, la mission et témoignage de vie que cela comporte ; et les sacrements, spécialement l’eucharistie, sources de toute la vie chrétienne.

– Les aumôniers laïcs : dans le cadre des ministères ecclésiastiques orientés vers une fin spirituelle (LG 33) comme coopération au ministère pastoral et avec la possibilité de se lier à un prêtre modérateur (code du Droit Canonique 129, 23à, 517). Ces aumôniers laïcs, reconnus comme aumôniers, sont constitués dans une nouvelle responsabilité : celle-ci leur fait engager d’une façon particulière le signe sacramentel de l’Eglise dans le monde. Ces laïcs y remplissent, avec le prêtre modérateur, une mission de communion et de guidance pour signifier avec tous les chrétiens le sacrement du salut (Evêques de France, Bureau d’études doctrinales, « les ministres ordonnés dans une Eglise- communion », Paris 1993, 54s).