François Lapierre

“II y a trois sortes de temps : le present du passe, le present du présent et le présent du futur, ces trois sortes de temps existent d’une certaine manière dans tame et je ne les trouve pas ailleurs : le présent du passé c’est la mémoire, le présent du présent, c’est la vision, le présent du futur, c’est l’attente.” Les Confessions. Saint Augustin.

Parler de mémoire, ce n·est pas uniquement parler de passé mais de présent les êtres informatisés que nous sommes portent dans leurs cellules leurs traditions religieuses,culturelles etc. Nos mouvements portent aussi leur histoire et cette réalité nous affectent souvent à notre insu. Nous devons y être d’autant plus attentifs que nous vivons dans un monde où le présent apparaît supérieur au passe et ou on accentue souvent la rupture avec celui-ci.

Parler de mémoire, c’est aussi parler de vie, c’est le sens de la tradition. A la question, pourquoi Jesu n’a pas crit? Thomas d’Aquin répond que c’est parce  qu’il ne voyait pas d’adéquation entre l’écriture et le message qu’il voulait communiquer. Jésus a voulu des témoins capables de transmettre la mémoire vivante de la foi aussi, parler de mémoire ce n’est pas se référer à une réalité de musée  mais s’ouvrir;

Enfin, parler de mémoire, c’est affirmer l’importance du principe et fondement. Jésus dit à ses disciples durant la dernière cène : “faites ceci en mémoire de moi.” Ignace de loyola rappelle l’importance du principe et fondement au début des exercices spirituels et  saint Jean, au début  de son évangile écrit : “Au commencement était le Verbe.” (Jn 1,1) Tout mouvement authentique possède également son principe et son fondement.

Dans les lignes qui suivent, j’essaierai de retracer brièvement la mémoire spirituelle de Pax Romana et de voir comment cette tradition peut éclairer notre route actuelle.

Les débuts de Pax Romana MIIC

Depuis ses débuts, Pax Romana a voulu vivre une spiritualité toute centrée sur la paix. Dans les principes fondamentaux pour l’action des intellectuels catholiques dans le monde, Monseigneur Bernareggi, évêque de Bergame, aumônier central du mouvement “laureati” de l’action catholique italienne montre que la dernière guerre mondiale a marqué la fin des grandes illusions, la fin de !’illusion que dans le monde tout était aménagé pour la paix éternelle. La guerre a fait la preuve de l’incapacité tant du libéralisme comme du socialisme de fonder la paix mondiale. Alors ·en ces derniers temps de l’histoire, !’invocation du Christ s’est élevée plus haute pour qu’il revienne dans la société des hommes et qu’avec Lui, la société retrouve la Paix… C’est done dans ce climat, dans cette tension de la conscience catholique, vers une paix fondée sur le Christ que Pax Romana naquit en 1921.” Dans plusieurs publications de Pax Romana, on reprend la devise du pape Pie XI “Pax Christi in Regno Christi”, pour bien affirmer le lien entre la Paix et le Royaume de Dieu.

Si done, on tente de retrouver les éléments fondamentaux de la spiritualité de Pax Romana, c’est d’une part !’importance donnée à la paix, une paix qui n·est conc;ue uniquement comme expérience intime du coeur mais comme histoire collective à construire. On est également frappé par le christocentrisme de cette oeuvre de paix, comme le rappelle Paul : “Le Christ est notre Paix” (Eph.2,11) II y a done une claire conscience que la Paix n’est pas d’abord une realisation des hommes, la Paix dont parle l’evangile est une personne, la personne même de Jésus.

II est peut-être difficile aujourd’hui d’apprécier l’aspect prophétique de cet engagement pour la paix après des siècles ou beaucoup de laïcs ont reçu les honneurs de la guerre juste! Notre mouvement est done fonde sur la béatitude des artisans de paix,

Bienheureux les artisans de Paix

                 car ils seront appelés fils de Dieu.• (Mt 5,9)

C’est la la béatitude que nous voulons vivre plus intensément, ceux et celles qui étaient au commencement de Pax Romana voulaient annoncer la bonne nouvelle de la Paix (Ac. 10,36) avec une passion intelligente, ils ou elles voulaient développer une culture de la Paix

L’expérience spirituelle du mouvement ne peut se penser en dehors en dehors de cette vision, tous les textes fondateurs sont trop clairs à ce sujet. La dimension internationale du mouvement veut exprimer cela, elle veut marquer que Jésus “a détruit la barrière qui séparait les peuples, par la Croix, en sa Personne, il a tué la Haine. II est venu proclamer la Paix, Paix pour vous qui étiez loin et Paix pour ceux qui étaient proches.(Eph. 2,18) Celle vision du Christ qui tue la haine, qui remplace la loi du mur qui sépare par la loi de la charité qui unit est l’inspiration de la dimension internationale du mouvement :

Quand Je parlerais les langues des hommes et des anges, 

                                                                            si Je n’ai pas la charité, je Ne suis plus qu’airain qui son-

                                                                            ne ou cymbale qui retentit.” (I Cor. 13,1)

On ne peut done detacher la Paix de ca don de l’amour qui est l’ultime loi de la nouvelle création, entrer dans cette paix, c’est recevoir le Christ. Voilà me semble-t-il, le principe et le fondement de Pax Romana. c’est une vision d’unité, de réconciliation ou “il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a ni esclave, ni homme libre, il n’y a ni homme, ni femme” (Gal. 3,28). de Paix, non de cette Paix fausse de ceux qui disent “Paix, Paix alors qu’il n’y a pas de paix” (Jér. 6,14) On le voit, dès ses débuts, Pax Romana a voulu être une prophétie de l’evangile de la Paix, on a voulu organiser dans le monde entier la fraternité des esprits, mettre l’intelligence au service de Dieu selon l’expression d’Etienne Gilson, on voyait Pax Romana come “prémisse d’une nouvelle chrétienté” d’une nouvelle façon d’être Église, d’une Eglise qui favoriserait la création d’un nouvel ordre du monde ou la Paix ne serait pas une illusion.

L’apres Concile

L’expérience spirituelle des mouvements comme celle des personnes connaît des nuits, des moments d’intense purification, des invitations à approfondir la conversion. Pour le regard superficial, ces nuits peuvent apparaître comme des moments de désintégration mais elles sont en fail des moments de reconstruction,

A la fin des années ’60, Pax Romana MIIC a fait l’expérience de cette nuit purificatrice. Né dans le contexte de l’opposition entre temporal et spiritual, Eglise et monde, nature! et surnaturel, le MIIC a dû s’ouvrir à une nouvelle compréhension du spiritual. Comme l’affirmait le pape Paul VI a la fin du Concile, l’evangile du Samaritain a été le modèle spiritual de Vatican II. Le samaritain nous ouvre à la compréhension du spiritual comme humble service de l’humanité souffrante, comme attention aux hommes et aux femmes tombés sur  le bord de la route de l’histoire.  De la confrontation, on passe au dialogue et a une volonté d’action avec toutes les personnes de bonne volonté.

De plus, comme l’écrit Paul VI dans sa lettre sur le développement des peuples : “Aujourd’hui, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est que la question sociale est devenue mondiale” (P.P. 3).

On saisit mieux que la proclamation de la Paix de Dieu implique une nouvelle fa9on de faire l’histoire du monde, de la paix vue d’abord comme relation entre les nations, on s’ouvre davantage à la paix comme “oeuvre de justice” (Is. 32,17, G.S.78) on retrouve la grande tradition prophétique de la paix, le lien intime entre la cause de Dieu, celle du pauvre et celle de la paix :

II jugeait la cause du pauvre et du malheureux,

                                                                                     alors tout allait bien, me connaitre, n’est-ce pas cela? Jér.22,16

et pour Israël, connaître n’est pas d’abord un processus intellectuel mais une expérience du coeur, il faudrait done dire “être de Dieu, n’est”ce pas cela? Le lien entre la pratique de la justice, la connaissance de Dieu et la construction de la paix apparaît alors plus clairement et inspire une nouvelle syntaxe de la relation entre la foi et la vie, la foi et l’engagement

Cette relation entre la foi et l’engagement a toujours été la préoccupation principale de la spiritualité, c’est au fond la réalité de la relation entre l’amour de Dieu et celui du prochain. Pendant longtemps l’Eglise a ete marquee par le “ora et labora” (prie et travaille) de la tradition bénédictine, qui marquait la primauté de la contemplation sur l’action. Puis, avec l’époque moderne, il y a eu inversion des termes, le “ora et labora” est devenu “labora et ora”(travaille et prie), c’est la culture du travail liée à la révolution industrielle, le culte de l’action, l’insistance mise sur l’affrontement et non sur l’harmonie avec la nature. Ignace de Loyola parlera de “Contemplation dans l’action”, cela exprime bien la présence d’une nouvelle sensibilité culturelle qui affirme fortement la primauté du travail, de l’action, Ne trouve-t-on pas une expression de cela dans l’action catholique?

L’insistance unilatérale sur l’action conduit à la crise car en identifiant le “ora” et “labora”, la prière a raction, des mouvements comme les nôtres en viennent à perdre leur sens car les possibilités d’action sont multiples à l’extérieur des mouvements catholiques. On peut travailler pour les droits de la personne, être engagé en politique, dans un travail syndical sans être membre d’un mouvement catholique. Le mouvement peut faire de la suppléance, mais lorsque ce temps de suppléance sc termine, alors le mouvement perd sa raison d’être,c’est la crise. Alors quel est le sens d’un mouvement catholique?

Ici, la découverte de la paix comme oeuvre de la justice, a ouvert de nouvelles voies. Car pour la bible, le cas type du droit, c’est le pauvre, celui qui n’a rien ou apparemment n’apporte rien à la société, donne à première vue l’inefficacité même. Aussi “l’option pour les pauvres” qui deviant option du mouvement a la fin des années ’70 n’est pas d’abord comme certains l’ont pensé, une option de classe ou une option politique, mais une option éthique, théologique de grande importance permettant la recherche d’une nouvelle synthèse entre “ora et labora” entre la foi et l’engagement. Elle permet en effet de découvrir l’importance de la gratuité dans l’expérience de la foi et un nouveau type d’efficacité historique, non pas celle de la technologie mais celle des pauvres. L’option pour les pauvres, c’est au fond le choix radical entre Dieu et l’argent (Mt 6,24), entre l’être et l’avoir. II ne s’agit pas uniquement d’opter pour les .pauvres mais d’être pauvre et être pauvre n’est pas uniquement renoncer à ses biens mais aussi au succès, au prestige, au pouvoir. Que signifie tout cela quand on est professionnel, intellectual?

Cette seconde étape a aidé le MIIC à découvrir la relation entre la béatitude des pauvres et celle des artisans de paix, a mettre en place une nouvelle synthèse entre la foi et la vie, entre la foi, l’espérance et la charité. On découvre davantage la primauté de la charité qui fait croître la connaissance de la foi, l’expérience de Dieu. (I Jn 4,8) Le mouvement apparaît davantage comme espace d’intégration et de croissance de la foi, comme communauté qui vit la foi et doit l’annoncer, comme communauté évangélisatrice même si les formes que doit prendre l’annonce de l’evangile ne sont pas toujours claires et que les fa9ons de comprendre la présence de l’Eglise dans le monde sont diverses.

Le moment actuel

L’importance actuelle donnée à la spiritualité n’est pas une fuite hors de la réalité mais un signe des temps ou nous vivons, Au moment ou les cadres de référence et les valeurs qui ont guidé les generations anterieures s’effondrent, la recherche d’une spiritualité nouvelle a fait ça beaucoup comme une nécessité qui s’impose pour traverser la cnse de civilisation actuelle et pour ranimer l’espérance sans laquelle l’avenir reste ferme.

La recente enquete menee dans le mouvement sur la spiritualité, a révélé à la fois des insatisfactions mais aussi des inquiétudes nouvelles. l’insatisfaction face à ce qu’un groupe a appelé la spiritualité traditionnelle, marquée par les idées de mortification. souffrance, pénitence, péché, faute, expiation etc. on questionne même certaines spiritualités de la libération ou la culpabilisation, la responsabilité face au péché social semblent occuper une place centrale. On se demande done si on ne se trouve pas devant la même structure psycho-sociale répressive conduisant inévitablement à une manipulation de la personne humaine.

L’enquête affirme fortement la nécessité de chercher une “spiritualité nouvelle” une spiritualité qui mette davantage l’accent sur la “vivification” que sur la “mortification” sur la grâce plus que sur le péché, en un mot ou la vie soil centrale, on insiste sur le fait que l’expérience spirituelle ne doit pas se construire sur !’opposition entre l’âme et le corps mais sur l’opposition entre la  vie et la mort. Dans cette perspective, l’expérience spirituelle n’apparaît pas uniquement comme la découverte de la vie de Dieu mais aussi comme recherche du Dieu de la vie, “le Dieu d’Abraham, d’isaac et de Jacob, qui n’est pas le Dieu des morts mais des vivants.” (Mt 22,32).

Parler ainsi, ce n’est pas respirer l’air du temps, ceder a la facilite. On pourrait en effet croire que nous voulons passer d’une spiritualité de la résistance à une spiritualité d’acceptation enthousiaste de la réalité.

Ce serait là oublier “que etroite est la porte et serre le chemin qui mène à la vie et qu’il en est peu qui le trouvent.”(Mt 7,14) II n’y a pas de spiritualité sans dissidence car comme nous le dit Paul, se modeler sur le monde présent ne conduit nulle part (Rm 12,2).

Nous devons être conscients des liens entre l’expérience spirituelle d’une époque et type de soc,ete m1se en place, Weber a bien montré la relation entre la spiritualité issue de la réforme et la naissance du capitalisme moderne.

La nouvelle spiritualité que nous recherchons ne peut être détachée des problèmes de noire temps et de la vision d’une société nouvelle. Quand on observe la généralisation de la violence dans le monde actuel, la multiplication des guerres dites de “faible intensité”, la dévalorisation de la vie humaine, la spiritualité et l’engagement pour la paix ne peuvent être vécus que comme recherche d’une vie individuelle et collective “plus humaine. {P.P. 21) et comme opposition à des projets qui instrumentalisent la mort pour s’imposer. En un mot, la spiritualité doit être vécue comme “culture de la vie”.

Dans la tradition religieuse qui est la n6tre, la Paix, c’est le “Shalom” la plénitude de la vie, aussi il n’est pas difficile de voir les immenses tâches qui attendent un mouvement comme le n6tre qui est né d’une volonté d’engagement pour la Paix Nous avons surement à témoigner aujourd’hui du lien intime qui existe entre la Paix et la défense et la promotion de la vie humaine. Vatican II a salué la naissance d’un nouvel humanisme ou “l’homme se définit avant tout par la responsabilité assumée envers ses frères et devant l’histoire” GS 55 Mais on peut se demander si ce nouveaux modèles d’humanité sont vraiment présents dans la réalité actuelle, on peut aussi se demander si on arrive à créer des modèles de perfection humaine, de sainteté qui puissent inspirer de nouvelles expériences de vie politique, économique et culturelle.

La tradition spirituelle dans laquelle nous nous situons trouve son point de départ dans les paroles de Yahweh à Abraham : “Quitte ton pays…”(Gen 12,1)  II y a aujourd’hui de par le monde des millions de réfugiés qui cherchent une tem nouvelle, mais il y a également beaucoup de femmes et d’hommes qui cherchent de nouvelles sources, des raisons de risquer leur vie dans les défis du monde actuel et de contribuer à l’oeuvre de la Paix. Répondre à cette recherche est surement un, lourde responsabilité pour le MIIC.

Conclusion

A la fin de ces réflexions,on pourra peut-être objecter qu’on ne trouve pas dans ce lignes l’originalité de la spiritualité du MIIC car l’engagement pour la paix, l’option pour les pauvres, la défense et la promotion de la vie ne sont pas propres a noter mouvement. II me semble Important de noter que le MIIC ne cherche pas à tout prix trouver une spiritualité originale, depuis sa fondation, il a voulu être un espace ou de hommes et des femmes découvrent la grande spiritualité de l’Eglise.

Notre originalité ne se situe peut-être pas dans le type de spiritualité mais dans la tâche qui est est la n6tre dans !’l’expérience spirituelle de l’Eglise, comm professionnels, intellectuals, nous avons surement une vocation d’éveil leurs dar l’Eglise et dans la cité.

Depuis quarante ans, des membres de notre mouvement n’ont pas craint d’alerter la conscience de l’Eglise, il est a souhaiter que la célébration du quarantième anniversaire renouvelle l’esprit prophétique du mouvement et nous aide à prendr la prière de Fran9ois d’Assise qui demandait au Seigneur de faire de lui un instrument de sa Paix.