La relation entre les jeunes et le monde du travail peut être explorée à partir de différentes perspectives, car il s’agit d’un entrelacement très complexe qui présente des éléments de nature économique, sociale, culturelle, philosophique … et pédagogique aussi : et c’est justement la ligne de réflexion qu’on a choisie. On va développer l’exposé sur deux plans : le plan de l’analyse des valeurs du travail qui, aujourd’hui, semblent se proposer en objectifs de formation, et le plan de la réflexion sur quelques dynamismes éducatifs pour apprécier la valeur formative du travail, en partant de l’âge tendre.

La question des valeurs professionnelles qui se dessinent dans le scénario culturel contemporain, lue en termes pédagogiques nous mène à nous demander si dans ce début du XXIᵉ siècle il existe, et sous quel aspect, une sorte de paideia professionnelle. Malgré toutes les difficultés qu’on rencontre en parcourant les traits d’une culture dont tout le monde reconnaît la complexité et la liquidité, cette paideia met en évidence un paradoxe pédagogique, puisqu’elle essaie de maintenir unis fonctionnalisme et individualisme. La culture contemporaine tend à  donner pour fin de la formation les « exigences » du monde du travail, au point que très souvent les choix des jeunes (à partir de leurs propres études) penchent pour se plier à des critères de type fonctionnel, qui répondent à la question : « qu’est-ce qui est le plus utile » pour une bonne insertion professionnelle et un bon travail. D’un autre côté, si on se demande quelles sont les « valeurs professionnelles » les plus représentatives, parmi celles qu’on propose le plus comme des réponses aux attentes personnelles face au travail, des motivations tendent à émerger, de type pragmatique (d’ordre économique) ou de gratification personnelle (d’ordre individuel). Il semble que le sens du travail va s’éloigner de la fonction sociale du travail, de sa contribution à la construction de  la cité des hommes, à la réalisation d’un  bien commun allant au-delà de l’horizon exigu de la gratification subjective des individus. Et même des recherches menées récemment confirment cette double tendance.

Le paradoxe pédagogique est présent dans l’effet combiné de ces deux tendances qui rend très difficile d’éduquer les personnes à la valeur du travail conçu préalablement comme un lieu d’expression de la personne, de ce qu’elle peut « donner» grâce à ce qu’elle est (contre la tendance fonctionnaliste), mais aussi comme le lieu de construction d’un bien qui dépasse les désirs subjectifs de chacun, limités souvent à des horizons matériels ou à des gratifications émotives. Dans ce temps de crise et de difficultés il faudrait donc inverser la tendance de cette paideia professionnelle, en prenant en compte la valeur humanisante du  travail. Ce sont les termes mêmes proposés par l’encyclique Laborem exercens, selon laquelle, à travers le travail, l’homme est appelé non seulement à se procurer son pain quotidien, mais aussi à « contribuer  au progrès continu des sciences et de la technique et surtout à l’incessante élévation culturelle et morale de la société où il vit en communauté avec ses frères. »

Sur le plan des stratégies éducatives et formatives, on pourrait beaucoup dire sur la nécessité de marquer le contraste avec la tendance fonctionnaliste de la formation de caractère académique, qui pourtant se pose de quelque façon en continuité avec une vision utilitariste des études, qui mûrit souvent déjà au collège ou au lycée.

En outre, il nous semble important de disposer d’avance de contextes de formation visant à valoriser précocement la valeur éducative et formative du travail, à partir de l’âge tendre. Ce serait important d’élaborer des stratégies articulées de «découverte professionnelle», dans lesquelles les enfants pourraient en faire l’expérience eux-mêmes dans des contextes professionnels différents, en mettant à l’épreuve soit des compétences apprises à l’école, soit surtout leur propre sensibilité, leur capacité de s’insérer dans ces contextes et d’y être actifs avec profit et – pourquoi pas – avec plaisir et avec joie.

Bien sûr il ne serait pas possible de faire expérimenter toutes les situations de travail que chacun pourrait rencontrer tout au long de sa vie, mais il est nécessaire aussi de ne pas se limiter à une connaissance du travail comme une sorte de réalité virtuelle dont on s’approche par des tests d’aptitude. Ces tests devraient prédire les modalités suivant lesquelles chacun pourrait s’insérer dans des contextes de travail différents ; mais, à notre avis, un parcours pédagogique serait bien plus prometteur selon lequel les jeunes se mesurent avec la réalité et à la suite de ces expériences, engagent un travail de réflexion, guidés par les enseignants, éventuellement aussi avec l’aide de professionnels spécialistes de l’orientation.